Où sont les lanceurs d’alerte?

Les médias occidentaux se comportent rarement en lanceurs d’alerte. Ils ignorent des régions entières du globe, pour ne s’y intéresser QU’APRES une catastrophe. Et encore si les images sont suffisamment bonnes pour être diffusées, ou si leurs citoyens sont directement concernés. Une partie de l’Afrique est un de ces déserts de l’information. Ce continent est très peu présent sur les écrans de télévision et dans la presse écrite sous ses diverses formes.

Le départ de Bagdad
La couverture du Proche –Orient, en cette période de terrorisme et de crise migratoire majeure, est un autre exemple. Les médias, français notamment, n’ont prêté attention à l’affaire irakienne qu’après les attentats de Paris le 13 novembre. Les grandes rédactions avaient retirés leurs envoyés spéciaux de la capitale irakienne après le retrait des troupes américaines en décembre 2011 et très peu de journalistes étrangers sont restés à Bagdad. De fait, les deux années suivantes ont été un trou noir pour la presse internationale et, les rédactions sont tombées des nues en juin 2014, lorsque des djihadistes ont conquis Mossoul, la deuxième ville d’Irak. 1300 combattants d’une organisation appelée Etat Islamique d’Irak et du Levant, (dont l’acronyme en arabe est Daesh) avaient mis en déroute une armée irakienne de 350000 hommes. Les généraux irakiens, corrompus, n’avaient laissé que cinq chargeurs à leurs soldats. Patrick Cobckurn, est un des rares lanceurs d’alerte, à avoir suivi les événements qui ont conduit à la victoire de Daesh. Il raconte dans son livre « The Jihadis Return. ISIS and the New Sunni Uprising  1 » comment, marginalisés, diabolisés et soumis à une répression de plus en plus dure de la part du gouvernement central [shiite, pro iranien] les sunnites ont fini par se tourner vers la lutte armée et l’alliance avec Daesh. A la parution, de son ouvrage fin 2014, en France, seuls deux grands quotidiens parisiens ont pris la peine d’en faire la recension.

Pas d’institutionnel!
Bien sûr, à l’époque, les rubriques « Étranger » de la grande presse étaient naturellement – et à juste titre – submergées pas les informations venues de Syrie. Ce conflit a été couvert sur le terrain par des correspondants de guerre, au risque de leur vie. Même si l’information était parvenue dans les rédactions, face aux images des massacres perpétrés par le régime Assad, Il n’y avait pas de place pour des histoires de corruption et de répression anti sunnite en Irak. En général, les patrons de journaux n’aiment pas les sujets dits « institutionnels » où l’envoyé spécial prononce les mots « gouvernement » « ministère » etc.

Ne pas faire diplo !
Pendant la dernière à Gaza en juillet 2014, au cours d’un duplex, j’ai eu le malheur d’expliquer que les renseignements militaires égyptiens avaient félicités leurs homologues au ministère israélien de la Défense à Tel Aviv après la liquidation de trois chefs du Hamas dans le sud de la bande de Gaza. On m’a rappelé de Paris pour me dire : « Tu as fait « diplo ! ». La critique ultime ! D’une manière générale, – et il y a bien sur des exceptions – les rédactions font rarement du suivi après une révolution, une guerre, un soulèvement. Entre la chute de Hosny Moubarak, en février 2011, et celle de son successeur, Mohammed Morsi, en juillet 2013, les médias occidentaux n’ont couvert que partiellement l’évolution de l’opinion égyptienne. Lorsque les réseaux sociaux ont commencé à lancer des appels à la manifestation anti-Morsi, les principaux éditorialistes parisiens étaient persuadés que le président égyptien surmonterait la tempête. Selon leur analyse, il ne risquait rien puisque Barack Obama le soutenait. Ce n’était pas le point de vue des envoyés spéciaux sur le terrain.

La tendance à fantasmer l’actualité
Didier Epelbaum, ancien médiateur de l’information de France 2, analyse, dans son livre « Pas un mot, pas une ligne », l’occultation de la Shoah au cours des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale et, plus récemment, la couverture du génocide au Rouanda. Il constate « La tendance à concentrer le pouvoir de décision, dans les directions et rédactions en chef. Certaines rédactions ont tendance à fantasmer l’actualité en fonction d’un journal désiré [..]» A cela, il faut ajouter les impératifs économiques d’audience. Les services d’analyse des grandes chaines déterminent ce qui « marche », ce qui attire le téléspectateur, ce qui est »concernant » et ce qui est « anxiogène » et le repousse.
Résultat : les médias ont quasiment arrêté la couverture du conflit israélo-palestinien après la dernière guerre à Gaza, se contentant de suivre la dernière vague de violence, « l’Intifada des couteaux », sans chercher des explications sur ses raisons profondes. Pourtant cette crise risque de déstabiliser encore plus la région. Des experts parlent du risque grandissant d’un effondrement de l’Autorité palestinienne, que ce soit pour des raisons économiques et financières, internes (l’OLP est de plus en plus critiquée par la rue). Le rétablissement de l’administration militaire israélienne sur les villes autonomes de Cisjordanie aurait des conséquences désastreuses pour le Proche Orient, sans parler d’Israël, même.
En attendant, selon des diplomates européens, il faudrait parler aussi de la déliquescence de la direction palestinienne, qui ressemble de plus en plus à une cour byzantine. Là, il faut évoquer également l’attitude des organisations pro-palestinienne. Elles sont promptes à manifester– ce qui est évidemment totalement légitime- lorsque Israël  bombarde Gaza ou renforce la répression en Cisjordanie mais on les entend très peu face à l’immense tragédie du camp de réfugiés palestinien Yarmouk 2, près de Damas . Seules quelques images sont parvenues de ces massacres. Qui a parlé de crimes de guerre en Syrie ? Il y a aussi les Yazédis d’Irak. Ils ont fait les gros titres, puis l’attention qu’on leur porte s’est évaporée. Quelques courageux correspondants de guerre continuent de couvrir ce génocide. Deux ou trois grands quotidiens l’évoquent, de temps à autre.

Journalisme Low Cost
Il ne fait pas bon être une minorité opprimée au Proche Orient. Ces temps-ci, pour intéresser les publics, les politiques occidentaux, il faut être un réfugié débarquant en Europe. Les médias accomplissent-ils leur mission définie par le conseil de l’Europe ? : « Ils ont l’obligation morale de défendre les valeurs de la démocratie […] contribuer dans une mesure importante à prévenir les moments de tension et favoriser la compréhension mutuelle, la tolérance.. […] 3 » Compliqué compte tenu du journalisme low cost qui imprègne la profession !. Les envoyés spéciaux connaisseurs, experts de l’histoire du pays et des conflits se font rares. Ce sont souvent eux les lanceurs d’alerte capables d’apporter au public l’information et l’analyse auxquelles les citoyens ont droit

1 Le livre a été traduit sous le titre « Le retour des Djihadistes » par Adrien Jaulmes, grand reporter au Figaro
2 Voir l’excellente analyse de Jean-Pierre Perrin dans Libération.  http://www.liberation.fr/planete/2015/04/07/yarmouk-nouvelle-tragedie-palestinienne_1236629
3 Cité par Epelbaum. Résolution 1003ndu Conseil de l’Europe relative à l’éthique du journalisme. 1.7.1993

Une réflexion sur « Où sont les lanceurs d’alerte? »

  1. Analyse, journalisme? Quelle vulgarité! Trop de temps, trop cher. Un Air de médiatique flotte.
    Un des antidotes: « le Diplo ».
    Bien d’autres résistent. C’est un combat.
    Merci Charles

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