L’académicien et Israël

Au gré de mes pérégrinations sur le web, je suis tombé sur une émission diffusée par Causeur en coopération avec RCJ. Élisabeth Lévy dialogue avec Alain Finkielkraut qui nous fait part de ses réflexions sur l’exécution d’un palestinien à Hébron le 24 mars dernier. http://www.cjfai.com/eventmaster/2016/04/05/finkielkraut-israel-et-la-volte-face-de-netanyahou/

Abdel Fattah Al-Sharif gisait au sol, grièvement blessé, après avoir agressé au couteau un militaire israélien en compagnie d’un autre assaillant qui, lui, avait été tué sur le coup. La scène, filmée par un volontaire de B’Tselem, l’ONG de défense des droits de l’homme montre, onze minutes plus tard, un soldat achevant al-Sharif d’une balle dans la tête. L’auteur de cette exécution extrajudiciaire s’appelle Elor Azaria. Il effectue son service militaire dans la brigade Kfir, déployée en Cisjordanie. Les médias francophones découvriront qu’il a la nationalité française par ses parents, arrivés en Israël il y a une trentaine d’année. Il est traduit devant la justice militaire sous l’accusation d’homicide.   On trouve sur les sites du Point et du Monde des articles racontant les divers aspects de cette affaire.

http://www.btselem.org/firearms/20160324_soldier_executes_palestinians_attaker_in_hebron

Mais, revenons à l’émission d’Élisabeth Lévy. D’entrée de jeu, l’académicien met en pièce l’article signé par Florence Noiville dans le Monde et consacré à la disparition d’Imre Kertesz, écrivain hongrois, prix Nobel de littérature en 2002. Il cite des extraits de « L’Ultime Auberge », le livre de ce survivant d’Auschwitz, décédé à l’Age de 86 ans : «  L’Europe s’aplatit devant l’Islam, le supplie de lui faire grâce. L’Europe ne veut pas se défendre etc. ». Et, ce qui fâche Finkielkraut, c’est ce passage de la journaliste : «  Pourtant – hormis peut-être dans son dernier ouvrage L’Ultime auberge (2015) où l’on trouve ça et là quelques remarques déconcertantes de sa part (mais peut être dues au grand âge,) sur l’Europe et l’Islam – il y a toujours quelque chose de profondément lumineux et d’éminemment généreux chez Kertész. » http://abonnes.lemonde.fr/disparitions/article/2016/03/31/l-ecrivain-hongrois-imre-kertesz-prix-nobel-de-litterature-est-mort_4892850_3382.html?xtmc=imre_kertesz&xtcr=2

 Étude de texte

Le philosophe, dont on connaît le peu d’attrait pour l’Islam, n’apprécie donc pas la critique implicite que fait Florence Noiville de la vision qu’a l’écrivain de l’Europe.

A 5min 47 de la vidéo, Élisabeth Lévy intervient : «  L’ultime auberge est considéré par le Monde comme un effet de son grand âge. De son gâtisme»

Finkielkraut : «Lorsqu’un survivant d’Auschwitz s’avise de sortir des sentiers battus du devoir de mémoire. Le couperet tombe. Il est gâteux. Rien ne peut démentir le politiquement correct. Ils sont diagnostiqués Alzheimer. »

Donc, le Monde serait très critique du livre de Kertész, considérant qu’il a été écrit par un vieillard n’ayant plus sa tête. Mais, curieusement, en fouillant les archives récentes du Monde, on découvre que c’est tout le contraire. Peu après la publication de L’Ultime Auberge, la même Florence Noiville, a publié un article dithyrambique dont voici un extrait : « Intensément poignant, alliant l’intelligence à la subtilité et la férocité au mystère, L’Ultime Auberge est aussi le dernier volet d’une trilogie commencée avec Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas (Actes Sud, 1995) et poursuivie dans ­Liquidation (Actes Sud, 2004). Ces trois ­livres s’inscrivent dans un temps cyclique. Ils forment un cercle. Une entreprise impossible à résumer où, avec une probité et une lucidité sans faille, Kertész ­regarde l’existence avec la distance d’un sage – presque « en étranger » –, ce qui ne l’empêche pas de la boire « jusqu’à la dernière goutte », tout en nous donnant furieusement envie de faire de même. » Pas un mot de gâtisme ou d’Alzheimer. http://abonnes.lemonde.fr/livres/article/2015/02/11/forces-vitales-d-imre-kertesz_4574568_3260.html?xtmc=l_ultime_auberge&xtcr=3

Badiou et Israël

Madame Lévy rappelle à son invité qu’il faut passer au sujet annoncé en début d’émission et, à 8 min 43 sec : l’affaire d’Hébron. Finkielkraut promet d’en parler, mais d’abord se lance sur un autre texte de Kertész. « Regards sur une ville déchirée » écrit après un séjour à Jérusalem en avril 2002. Extrait : « A présent, je suis sur ce balcon, au septième étage, et ne peux pas mieux ici qu’à Berlin ou Budapest juger de ce qui se trame vraiment. A ce moment, je ne réfléchis même pas à la situation locale, mais plutôt à la réaction européenne. On dirait que, des profondeurs de l’inconscient, l’antisémitisme dont on a pendant des années serré le mors rejaillit comme une coulée de lave sulfureuse. Sur l’écran de télévision, je vois, à Jérusalem et ailleurs, des manifestations dirigées contre Israël. Je vois en France les synagogues incendiées et les cimetières profanés. A quelques centaines de mètres à peine de mon domicile berlinois, près du Tiergarten, deux jeunes Juifs américains ont été agressés et roués de coups

J’ai vu à la télévision l’écrivain portugais Saramago, penché sur sa feuille de papier, qui comparait les agissements d’Israël contre les Palestiniens à Auschwitz – une preuve que l’auteur n’a pas la moindre idée de l’inadéquation scandaleuse du parallèle qu’il a tracé, et qui plus est, que le concept bien connu sous le nom de Auschwitz, dont la définition dans le consensus européen était jusqu’à présent constante, peut aujourd’hui d’ores et déjà être employé de manière populiste et à des fins populistes. Je me demande s’il ne faudrait pas faire une distinction entre une disposition hostile à Israël et l’antisémitisme. Mais est-ce seulement possible ? Comment comprendre que, deux continents plus loin, en Argentine – où en ce moment, les gens ont d’ailleurs bien assez à faire avec leurs propres soucis -, on en arrive à des manifestations contre Israël ? »

L’académicien reprend : « Les Juifs et les Israéliens, avec leur état ethnique, ne sont-ils pas les mauvais élèves de la classe européenne, ceux qui ne respectent pas la feuille de route du devoir de mémoire. Badiou le dit sans ambages, s’il y a un état nazi aujourd’hui dans le monde, c’est Israël »

Élisabeth Lévy : « Badiou dit état nazi ? »

Alain Finkielkraut : « Oui, à peu près ! A peu près ! Un état successeur de l’antisémitisme hitlérien. »

Là, j’avoue que je suis bluffé. N’étant pas un lecteur de Badiou, j’ai cherché cette citation sur le web. En vain. Contacté, un ami parisien, philosophe m’a répondu : « Certes, les positions de Badiou sur Israël sont discutables mais je ne l’ai jamais entendu qualifier Israël de nazi.. »

La minorité arabe et la démocratie

Finkielkraut mentionne ensuite « certains commentaires » – il ne dit pas lesquels- qualifiant Israël, d’état raciste : «  C’est cet antiracisme qui relance aujourd’hui l’antisémitisme en délivrant la permission de haïr. On devrait au contraire s’étonner qu’Israël qui, dans l’état d’urgence où il vit depuis qu’il est né soit resté une démocratie. .. Que les membres de la minorité arabe y jouissent à l’exception du service militaire obligatoire, de l’entièreté des droits civiques, sont représentés au parlement et ont donné un de ses cinq membres à la cour suprême… » Excusons son erreur, la Cour suprême israélienne compte en fait quinze juges, parmi lesquels, Salim Jubran, un chrétien de Haïfa.

Visiblement, notre académicien n’est pas gêné par le projet de loi constitutionnelle que Benjamin Netanyahu entend faire adopter. Il s’agit de redéfinir Israël comme l’État-nation du peuple juif. Selon ce texte le législateur devrait s’inspirer des principes du judaïsme. Le régime serait défini comme démocratique mais seuls les Juifs y auraient des droits collectifs. Les musulmans et les chrétiens – les « arabes » dont parle Finkielkraut – ne jouiraient que de droits personnels prévus par les lois.

Netanyahu transgresse

Vers 13 min 40 sec, il finit par rappeler la volte-face de Benjamin Netanyahu qui, après avoir, dans un premier temps, déclaré que le geste du soldat ne représentait pas les valeurs de l’armée, a téléphoné au père du soldat pour lui exprimer son empathie et « promettre que l’enquête tiendra compte de toute la complexité de la situation. Transgressant ainsi allègrement la frontière constitutive de l’état de droit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire »

Élisabeth Lévy rappelle les sondages très favorables au soldat. Et Finkielkraut de se lancer dans une défense de la société israélienne : «  Il est incontestable que l’Intifada des couteaux fait vivre les israéliens dans une tension extrême. Le danger peut surgir partout et à tout moment. » Vivant à Jérusalem depuis plus de quatre décennies, je dois dire que j’ai connu des période infiniment plus tendues. A Paris et à Bruxelles après les attentats j’ai trouvé les français et les belges beaucoup plus inquiets que les israéliens.

Une frange hyper nationaliste?

Le gouvernement israélien devrait, dit-il, chercher une issue au statut quo politique actuel, qui n’est plus tenable… Mais, qui en est responsable selon lui ? « Il est beaucoup plus difficile d’en sortir que ne le pensent les bons apôtres européens qui oublient ce que la situation actuelle doit à la radicalité des palestiniens. Il n’empêche le rôle du gouvernement d’Israël est de chercher une issue or il ne la cherche pas. Parce que sa frange hyper nationaliste, suivie par une partie de l’opinion ne lui laisse aucune marge de manœuvre. On préfère donc la guerre à relativement bas bruit qu’est l’Intifada des couteaux à la guerre civile qu’entrainerait nécessairement le démantèlement d’une grande partie des colonies ». C’est un scoop ! Oublier que la majorité de la coalition gouvernementale du Likoud de Benjamin Netanyahu, jusqu’au Foyer juif de Naftali Bennet en passant par une partie des membres orthodoxes du Shass sont fermement opposés à la création d’un état palestinien et soutiennent la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie où vivent plus de 400 000 mille israéliens.

Retraits?

A aucun moment, l’académicien n’utilise le mot « occupation ». Il n’évoque les palestiniens que pour parler de leur « radicalité », et oublie l’action sécuritaire de l’Autorité autonome de Mahmoud Abbas qui, coopérant avec les forces israéliennes lutte contre le Hamas et maintient le calme dans les villes palestiniennes. S’il n’y a pas d’accord c’est parce que « Certains israéliens se méfient des palestiniens après le retrait du Liban, après le retrait de Gaza et considèrent qu’ils sont plus en sécurité comme cela. » L’explication est un classique de la communication de Netanyahu : « Israël se retire de territoires et l’Islam radical s’y installe ! Nous ne pouvons donc pas effectuer de concessions territoriales » En fait, le retrait du Sud-Liban n’avait rien à voir avec les palestiniens. C’était le résultat de la guerre désastreuse menée par Ariel Sharon et Menahem Begin au Liban en 1982. Une de ses conséquences fut le développement du Hezbollah. Comme pour Gaza, il s’agissait de retraits unilatéraux, non négociés, les responsables israéliens sachant parfaitement qu’ils laissaient ainsi le champ libre à l’Islam radical.

Les deux camps d’Israël

Alain Finkielkraut garde un silence assourdissant face à la campagne anti- démocratique menée par la droite, ses représentants au gouvernement et ses ONG extrémistes contre la gauche anti-annexionniste. En 1985, il a participé au premier dialogue entre intellectuels juifs de France et d’Israël, intitulé : Les juifs entre Israël et la Diaspora. J’ai publié sur ce blog des extraits de « La lettre à un ami juif français » de Yaïr Auron, l’organisateur de cette rencontre. En voici la conclusion : « Israël, en 1985, est une réalité très complexe au sein de laquelle se déroule une lutte entre deux visions opposées du monde. L’une composée d’éléments nationalistes et extrémistes, anti-démocratiques et xénophobes et l’autre d’éléments humanistes, libéraux et démocratiques qui ont représenté le courant central du sionisme, en recul constant depuis plusieurs années. Il me semble que c’est de ce conflit que se déterminera l’avenir d’Israël. Son issue aura des conséquences déterminantes sur l’avenir du peuple juif en tant que tel à l’aube du XXIème siècle. Quelle place et quel rôle occuperez-vous, intellectuels juifs dans ce combat ? ». Alain Finkielkraut se dit inquiet pour l’avenir d’Israël et admet que les partisans de la colonisation sont en train de construire un État où les juifs deviendraient minoritaires. Mais, est-il dans le camp de l’opposition sans concession aux forces anti-démocratiques qui, en Israël et au sein des communautés juives, mènent Israël à la catastrophe ?

PS: On me signale que dans une conférence le 4 mars, au CCLJ à Bruxelles, Finkielkraut a déclaré : « C’est un intérêt vital. L’occupation de la Cisjordanie, quelle que soit l’attitude des Palestiniens, est une catastrophe politique, économique et morale pour Israël ». Dont acte. Il serait bien qu’il le déclare, plus souvent et pas seulement devant un public juif favorable à La paix maintenant.

 

 

3 réflexions sur « L’académicien et Israël »

  1. Badiou n’a pas qualifié Israël d’état nazi, il a écrit que Finkielkraut a progressivement glissé “du côté d’un discours qui devien[drai]t indiscernable de celui des extrêmes-droite de toujours. C’est évidemment le pas que, malgré mes conseils éclairés, vous avez franchi avec le volume «L’Identité malheureuse» et le devenir central, dans votre pensée, du concept proprement néo-nazi d’État ethnique.”
    Et il a estimé que “l’instrumentation de ‘la question juive’ au profit d’Israël conduira les Juifs d’Europe au désastre”.

    Voir : http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151112.OBS9357/lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut.html

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