Grosse déception ce matin en recevant la Matinale du Monde. Alain Frachon, pourtant grand spécialiste du Moyen Orient, publie un éditorial intitulé « Pour une majorité d’États arabes, la guerre avec Israël, motivée par l’affaire palestinienne est terminée ». Le quotidien du soir a-t-il égaré ses archives ?
La dernière fois que les États arabes ont mené une guerre contre Israël, en partie motivée par la cause palestinienne, ce fut en 1948… Le principal objectif des pays arabes était d’empêcher la création d’un État non arabe au Proche Orient. 1973 ? Il s’agissait, pour Anouar el Sadate et Hafez el Assad de récupérer leurs territoires qu’Israël avait conquis en 1967. Le Sinaï pour l’un, le Golan pour l’autre. Rien à voir avec la Palestine. La seule « guerre motivée par l’affaire palestinienne » a été menée en 1982 par Israël afin d’expulser l’OLP du Liban. Le président égyptien, Hosni Moubarak, avait protesté et rappelé quelque temps son ambassadeur de Tel Aviv.
À l’instar du discours de la droite israélienne, l’éditorialiste du Monde décrit comme un grand tournant régional, les accords de normalisation diplomatique avec les Émirats arabes unis et Bahreïn sans rappeler que jamais ces états n’ont été en guerre avec Israël. Il évoque le Qatar qui, à la demande d’Israël, finance le Hamas à Gaza. En réalité, depuis 1991, dans le cadre des négociations multilatérales, sponsorisées par les États-Unis et la Russie, des diplomates israéliens, saoudiens, omanais, bahreïnis, des EAU etc. se rencontraient déjà à visage découvert. Officieuses, les relations entre ces états et les gouvernements israéliens se sont poursuivies et développées. Les dirigeants bahreïnis ont besoin des logiciels israéliens pour surveiller leur population chiite. Face à la menace iranienne, les pays du Golfe se sont tournés vers la high-tech et les renseignements israéliens. Désireux de satisfaire ses alliés évangélistes et son ami Benjamin Netanyahu, Donald Trump a poussé à l’établissement de relations diplomatiques entre Jérusalem, Abou Dhabi et Bahreïn, en échange de « cadeaux » sous la forme de la vente de toute une quincaillerie militaire, notamment d’avions de combat F35. Pas un mot dans le Monde sur le pseudo plan de paix rédigé par Jared Kushner, qui entérine l’occupation israélienne en Cisjordanie.
Et la Palestine ? Depuis belle lurette, les états arabes ne réagissent pas autrement qu’en publiant de vagues communiqués de condamnation de la politique de colonisation du gouvernement Netanyahu. Personne, même pas les défenseurs des droits humains en Europe, n’ont réagi à la tragédie du camp de refugiés palestiniens Yarmouk près de Damas, affamé, épuré ethniquement par le régime syrien. Et il faut bien constater que l’Autorité autonome, installée à Ramallah, n’a plus qu’un seul rôle : administrer la population des grandes villes cisjordaniennes, y assurer la sécurité en luttant contre le terrorisme, le tout en coordination avec Tsahal et le Shin Beth. Cela grâce à l’aide internationale, surtout de l’Union Européenne, qui, en assurant le versement des salaires de la police palestinienne, contribue ainsi à la sécurité d’Israël.
La conséquence de cette politique n’est autre que la pérennisation d‘Israël en État binational avec une forme d’apartheid. Pour ma part, je suis persuadé qu’au Proche Orient, l’intérêt de l’Europe – et de la France – réside dans l’existence d’un État d’Israël démocratique vivant en paix avec ses voisins, c’est-à-dire aux côtés d’une Palestine indépendante. Cela en raison de l’histoire – les siècles d’antisémitisme et la Shoah – , mais aussi de la présence d’importantes communautés musulmanes et juives vivant dans les pays du vieux continent, tournées vers Israël et l’affaire palestinienne.