les trois principes de l’idéologie Netanyahu

Première partie : L’Arabe est l’ennemi héréditaire

À Jérusalem, durant le mois de novembre 2020, les opposants à Benjamin Netanyahu se rassemblaient le samedi en début de soirée devant le N°4 de la rue Haportzim. Avant de se diriger ensuite place de Paris où se déroulait la principale manifestation. Les organisateurs du mouvement avaient découvert que Benjamin Netanyahu se rendait de temps à autre dans cette maison où il a passé une partie de son enfance. Ses parents l’avaient acquise en 1952, et, son père, Benzion, décédé en 2012, à l’âge de 102 ans, y a passé les dernières années de sa vie. Quelques proches du premier ministre ont révélé qu’à plusieurs reprises ces dernières années il venait seul, y passer de longues heures. Pour s’imprégner de l’idéologie familiale dont il n’était pas l’héritier désigné ?

Ce rôle devait aller à Yonathan, le frère ainé. Lieutenant-colonel, il a été tué par un soldat ougandais le 5 juillet 1976 en participant au raid de libération des otages de l’avion d’Air France détourné sur l’aéroport d’Entebbe par des pirates de l’air palestiniens et allemands. Benzion était persuadé que Yonathan, combattant décoré, allait devenir chef d’état-major, puis, un jour, finirait par diriger le pays. Et, durant la Shiva, le deuil juif, Benzion a lancé : « Les Arabes ne savent pas quelle perte ils ont infligé aux Juifs ! Il était le meilleur général qui pouvait guider le peuple juif, et à présent, il n’est plus ! ».

Benjamin, le second de la fratrie, a renoncé à sa carrière d’homme d’affaires américain. Il est rentré en Israël pour reprendre le flambeau de l’idéologie familiale, fondée sur les trois composantes :  l’Arabe est l’ennemi héréditaire du peuple juif. Le socialisme n’a pas sa place dans le sionisme. Le peuple juif doit être dirigé par un homme fort.

Ce 14 mars 2021, Benjamin Netanyahu a définitivement tombé le masque. Il participait à la « Jérusalem Conférence » organisée par l’hebdomadaire religieux B’Sheva. En réponse à une question, le Premier ministre et chef du Likoud a déclaré : « Si vous avez une difficulté à voter Likoud, je n’ai pas de problème si vous mettez dans l’urne un bulletin du parti « Sionisme religieux ». De fait, c’est lui qui a poussé à la formation de cette liste électorale religieuse, messianique ultra-droitière, raciste, xénophobe et homophobe qui est constituée de trois partis. :

L’Union nationale de Bezalel Smotrich.  Ce député est connu pour ses déclarations racistes envers les Arabes israéliens. Pour lui, le meurtre d’une famille palestinienne par des colons juifs n’était pas du terrorisme. Homophobe, il a organisé une manifestation contre la « Gay pride » à Jérusalem qu’il a qualifié de « défilé de bestiaux ». Selon le journaliste Barak Ravid, c’est le plus modéré de la liste.

Noam. Ce parti a été créé par de l’école talmudique Har Hamor, fondé par le rabbin Zvi Tau. Il avait claqué la porte de l’alma mater du sionisme religieux, la Yeshiva Merkaz Ha Rav car des matières profanes commençaient à y être enseignées. Prêchant un virage du sionisme religieux vers l’intégrisme ultra-orthodoxe, Har Hamor prône un traitement médical et psychiatrique pour le LGBT. On doit à Zvi Tau cette prise de position sur le statut des femmes : « La tendance mondiale d’accorder aux femmes une éducation égale à celle [des hommes] et leur lutte pour l’égalité ne peut apporter que des bénéfices à court terme. Cela portera fondamentalement atteinte à la qualité de la vie dans les nations et les sociétés commerciales car le véritable caractère de la femme ne pourra plus s’exprimer et cela manquera au monde. […] Les enfants nés dans des couples où la femme se consacre à sa carrière seront faibles et mous. [1]»

La Puissance juive (Otzma yehoudit », Menée par Itamar Ben Gvir, l’héritier spirituel du rabbin raciste Meir Kahana. Condamné en 2007 pour « incitation au racisme et soutien à une organisation terroriste ». En l’occurrence, le parti Kach, interdit en février 1994, après le massacre de 29 musulmans en prière dans le Caveau des Patriarches à Hébron, par le kahaniste Baroukh Goldstein. Ben Gvir, admire ce terroriste juif dont il garde fièrement le portrait.

Au nom du Likoud, Netanyahu a conclu un accord de partage des voix électorales avec le « Sionisme religieux ». En scellant cette alliance avec l’extrême droite la plus raciste et anti démocratique de la scène politique israélienne, il va à l’encontre des valeurs de la droite personnifiée par Menahem Begin, défenseur des lois qui, en 1966, a œuvré pour lever le régime militaire imposé aux citoyens arabes d’Israël[2].

Correspondant parlementaire, j’étais à la Knesset, le 16 octobre 1985, et la scène était extraordinaire. Meir Kahana, président du mouvement Kach, présentait une motion de censure contre le gouvernement d’union nationale dirigé par Shimon Pérès. Au moment où il est monté à la tribune, montrant leur refus de tout ce qu’il représente, tous les députés du Likoud d’Yitzhak Shamir aux travaillistes, sont sortis de la salle plénière. Tous, à l’exception de deux membres de Shass, le parti orthodoxe séfarade. Avec Kahana, élu l’année précédente avec 26000 voix – 1% des votants- le fascisme juif, est entré au parlement israélien. Né aux États-Unis, il prêchait une théologie messianique, selon laquelle l’histoire juive, depuis la destruction du Second Temple, est faite d’une série d’holocaustes. Prônant la suprématie juive, il militait pour l’expulsion des Arabes de la Terre d’Israël et la reconstruction du Temple.

En 2021, Benjamin Netanyahu a rompu avec la tradition démocratique du Likoud de Menahem Begin et Yitzhak Shamir

Kahana et Ben Gvir, sont idéologiquement proches de Benzion Netanyahu, le père du Premier ministre, historien, pour qui l’antisémitisme est indissociable de l’histoire du peuple juif. Selon lui, l’antijudaïsme a vu le jour en Égypte, dans la haute antiquité. Depuis, à chaque génération, un peuple, un roi, un dictateur un pays … cherche à détruire la nation juive[3].

 Parmi ces ennemis, les Arabes ont la place prépondérante. Le 2 avril 2009, quarante-huit heures après le retour de Benjamin Netanyahu à la tête du gouvernement israélien. Le patriarche lui a donné sa feuille de route : Il ne doit pas y avoir d’état palestinien « La tendance au conflit est l’essence même de l’Arabe. Il est l’ennemi par essence. Son être profond ne lui permettra jamais d’accepter un compromis ou un accord. […] Il vit dans la guerre perpétuelle. […] La solution à deux États n’a aucune pertinence. Il n’y a pas ici deux peuples. Il y a le peuple juif d’un côté, une population arabe, de l’autre. Il n’y a pas de peuple palestinien. Ils ne se considèrent comme un peuple que pour combattre les Juifs. […] Les Juifs et les Arabes sont comme deux boucs qui s’affrontent sur un pont étroit. L’un l’entre eux finira dans la rivière, en danger mortel. Le plus fort obligera l’autre à sauter. Et je crois que la force juive vaincra. [4]».

C’est en 1928 que Benzion, étudiant, a adhéré à « l’Alliance des sionistes révisionnistes » fondée par Wladimir-Jabotinsky, sur le modèle des mouvements nationalistes européens. Il s’agissait de reconstruire une existence nationale juive qui ne soit pas contaminée par des idées universalistes. Les Juifs étaient considérés comme une nation de commerçants et d’homme d’affaire. Les théories économiques socialistes, qualifiés d’antisionistes au même titre que le communisme étaient rejetées.

Jabotinsky venait de publier son livre-programme : « Le mur d’acier ». Les Arabes y étaient ainsi décris : « Culturellement, ils ont 500 ans de retard sur nous, spirituellement ils n’ont pas notre endurance et notre force de volonté, mais cela résume toutes les différences internes. […] C’est pourquoi cette colonisation ne peut se poursuivre et se développer que sous la protection d’une force indépendante de la population locale – un mur d’acier que la population indigène ne puisse percer.[5] »

À l’université hébraïque de Jérusalem, Benzion, était l’élève de Yossef Klausner, professeur de littérature hébraïque dont l’enseignement était apprécié par les révisionnistes pour sa vision nationaliste, anti-arabe. En 1929, il écrivait : « « La vérité est que la nation arabe dans son ensemble n’est pas sauvage, mais plutôt quasi sauvage- et les dirigeants arabes n’ont pas d’éducation mais une quasi-éducation et c’est une grande tragédie.[6]» Cinq ans plus tard, Benzion Netanyahu, dans Hayarden, le quotidien révisionniste, fera la comparaison entre les Arabes de Palestine et les Indiens d’Amérique : « Si les conquérants de l’Amérique avaient laissé la terre aux indiens, il n’y aurait eu que quelques métropoles européennes aux États-Unis, et le pays aurait été habité par des millions de peaux rouges… [7]» 

Dans son livre, « A place among the nations » publié en 1993, Benjamin Netanyahu a repris cette conception de l’histoire en allant encore plus loin : « Pendant des siècles, les Juifs ont subi des humiliations, des persécutions et, périodiquement, des massacres initiés par les Arabes, comme d’autres minorités. Mais […] le peuple juif est le seul à avoir réussi à défier l’asservissement et conquérir son indépendance. Plus, les Juifs sont parvenus à instituer une souveraineté “étrangère” au cœur du royaume, coupant le monde arabe en deux, séparant ses parties orientale et occidentale. Plus, le peuple qui a réussi à commettre cet acte ultime de défiance n’est ni musulman, ni arabe. Ainsi, l’hostilité arabe dirigée actuellement contre Israël plonge ses racines dans des antagonismes fondamentaux qui auraient existé même si Israël n’avait jamais vu le jour [8]. »

Le 20 octobre 2015, il ira encore plus loin en révélant aux délégués du 37ème Congrès sioniste, réuni à Jérusalem que l’idée d’exterminer les Juifs a été suggérée à Hitler par le grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amil el Husseini, lors de leur rencontre à Berlin le 28 novembre 1941: «Si vous les expulsez, ils viendront tous ici [en Palestine]. ‘Alors que devrais-je faire d’eux?’ demanda Hitler. Il répondit : « Brûlez-les » » Selon Netanyahu le Führer voulait seulement expulser les Juifs. Curieusement, ce n’est pas la version que raconte Netanyahu dans son livre « A place among the Nations ». Là, il explique qu’au cours de leur entretien à Berlin, Hitler se serait contenté de d’expliquer au Mufti qu’ils avaient un but commun : la destruction du Judaïsme palestinien. Trou de mémoire? Angela Merkel a remis les pendules à l’heure en rappelant que la responsabilité de la Shoah revenait entièrement aux nazis.

En fait, Jabotinsky n’avait pas la vision anti-arabe de la famille Netanyahu. En 1940, il envisageait un État d’Israël, « dominion de l’Empire britannique, avec une majorité juive, un président juif, et un vice-président arabe et où tous les citoyens seraient à égalité, quelles que soient leurs origines ou leur religion. Les communautés juive et arabe, ainsi que leurs langues respectives, devaient selon lui disposer d’un statut identique reconnu par la loi » [9]. Déjà, en 1929, il avait publié un poème évoquant un état juif sur les deux rives du Jourdain avec ce couplet qu’au XXIème siècle « Par la richesse de notre terre, prospérerons, l’Arabe, le Chrétien et le Juif ». 


[1] Moti Inbari, Fondamentalism Yehoudi Ve Har Ha Bayt, Jérusalem, Magnes, 2008, p. 72-78.)

[2] https://en.idi.org.il/publications/6151

[3] Benzion Netanyahu, The Origins of the Inquisition in Fifteenth Century Spain, New York, Random House, 1995, p. 4-15.

[4] Maariv, 2 avril 2009.

[5] The Iron Wall. Zed Books, Londres, 1984, pp. 74 et 75

[6] Cité par Adi Armon. Haaretz 5.7.2018

[7] Hayarden décembre 1934. Cité par Armon.

[8] Benjamin Netanyahu, A place Among The Nations. Israel and the World, New York, Bantam Books, 1993, p. 135

[9] Zeev Jabotinsky, Les Juifs et la Guerre (1939-1940) (en hébreu), Institut Jabotinsky, Tel-Aviv, 2016.

Plus de guerre arabe pour la Palestine?

Grosse déception ce matin en recevant la Matinale du Monde. Alain Frachon, pourtant grand spécialiste du Moyen Orient, publie un éditorial intitulé « Pour une majorité d’États arabes, la guerre avec Israël, motivée par l’affaire palestinienne est terminée ». Le quotidien du soir a-t-il égaré ses archives ?

La dernière fois que les États arabes ont mené une guerre contre Israël, en partie motivée par la cause palestinienne, ce fut en 1948…  Le principal objectif des pays arabes était d’empêcher la création d’un État non arabe au Proche Orient. 1973 ? Il s’agissait, pour Anouar el Sadate et Hafez el Assad de récupérer leurs territoires qu’Israël avait conquis en 1967. Le Sinaï pour l’un, le Golan pour l’autre. Rien à voir avec la Palestine. La seule « guerre motivée par l’affaire palestinienne » a été menée en 1982 par Israël afin d’expulser l’OLP du Liban. Le président égyptien, Hosni Moubarak, avait protesté et rappelé quelque temps son ambassadeur de Tel Aviv.

À l’instar du discours de la droite israélienne, l’éditorialiste du Monde décrit comme un grand tournant régional, les accords de normalisation diplomatique avec les Émirats arabes unis et Bahreïn sans rappeler que jamais ces états n’ont été en guerre avec Israël. Il évoque le Qatar qui, à la demande d’Israël, finance le Hamas à Gaza. En réalité, depuis 1991, dans le cadre des négociations multilatérales, sponsorisées par les États-Unis et la Russie, des diplomates israéliens, saoudiens, omanais, bahreïnis, des EAU etc. se rencontraient déjà à visage découvert. Officieuses, les relations entre ces états et les gouvernements israéliens se sont poursuivies et développées. Les dirigeants bahreïnis ont besoin des logiciels israéliens pour surveiller leur population chiite. Face à la menace iranienne, les pays du Golfe se sont tournés vers la high-tech et les renseignements israéliens. Désireux de satisfaire ses alliés évangélistes et son ami Benjamin Netanyahu, Donald Trump a poussé à l’établissement de relations diplomatiques entre Jérusalem, Abou Dhabi et Bahreïn, en échange de « cadeaux » sous la forme de la vente de toute une quincaillerie militaire, notamment d’avions de combat F35. Pas un mot dans le Monde sur le pseudo plan de paix rédigé par Jared Kushner, qui entérine l’occupation israélienne en Cisjordanie.

Et la Palestine ? Depuis belle lurette, les états arabes ne réagissent pas autrement qu’en publiant de vagues communiqués de condamnation de la politique de colonisation du gouvernement Netanyahu. Personne, même pas les défenseurs des droits humains en Europe, n’ont réagi à la tragédie du camp de refugiés palestiniens Yarmouk près de Damas, affamé, épuré ethniquement par le régime syrien.  Et il faut bien constater que l’Autorité autonome, installée à Ramallah, n’a plus qu’un seul rôle : administrer la population des grandes villes cisjordaniennes, y assurer la sécurité en luttant contre le terrorisme, le tout en coordination avec Tsahal et le Shin Beth. Cela grâce à l’aide internationale, surtout de l’Union Européenne, qui, en assurant le versement des salaires de la police palestinienne, contribue ainsi à la sécurité d’Israël.

La conséquence de cette politique n’est autre que la pérennisation d‘Israël en État binational avec une forme d’apartheid. Pour ma part, je suis persuadé qu’au Proche Orient, l’intérêt de l’Europe – et de la France – réside dans l’existence d’un État d’Israël démocratique vivant en paix avec ses voisins, c’est-à-dire aux côtés d’une Palestine indépendante. Cela en raison de l’histoire – les siècles d’antisémitisme et la Shoah – , mais aussi de la présence d’importantes communautés musulmanes et  juives vivant dans les pays du vieux continent, tournées vers Israël et l’affaire palestinienne.

« https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/11/pour-une-majorite-d-etats-arabes-la-guerre-avec-israel-motivee-par-l-affaire-palestinienne-c-est-termine_6072656_3232.html »