je serai mercredi à l’université populaire du Musée du Quai Branly. Comment résister aux pressions? Comment déconstruire le narratif du pouvoir? le devoir d’éthique. je dirai tout.. http://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/universite-populaire/details-de-levenement/e/charles-enderlin-38527/
Mois : février 2020
Le passage de mon livre cité par Claude Angeli dans le Canard enchainé
ON LE SAIT : LA DEPORTATION MENE A LA MORT
Le Consistoire central monte également en première ligne. Jacques Helbronner a dépêché maître Robert Kiefe, son secrétaire personnel, à Vichy pour rencontrer Jean Jardin, le directeur de cabinet de Laval. Il lui remet un dossier complet sur les déportations et la manière dont elles se déroulent, évoque leur destination finale – l’extermination. Son interlocuteur se dit « atterré », affirme que ni lui ni Laval n’ont connaissance de ces faits. Jardin reconnaît que, « pour éviter des mesures allemandes contre les Israélites français en zone non occupée, le gouvernement a consenti à livrer les étrangers ». Kiefe lui répond : « Dans quelques semaines, les Allemands exigeront de nouvelles mesures contre les Juifs français. Vous ne pouvez d’aucune manière leur faire confiance. »
Le 23 août 1942 , la section permanente du Consistoire se réunit pour examiner un texte rédigé par Kiefe, et destiné à alerter les responsables politiques et religieux. En l’absence d’Helbronner, porté manquant depuis le début du mois « en raison de son état de santé », la séance est présidée par Adolphe Caen, assisté d’Isaïe Schwartz, le grand rabbin de France. Le grand rabbin Jacob Kaplan est également présent. Tous approuvent le contenu du texte, et ensemble ils décident de le diffuser aux membres du Consistoire, aux présidents des communautés et aux rabbins, mais aussi au Maréchal, au nonce apostolique, au pasteur Boegner, au président de la Croix-Rouge, aux évêques et archevêques, aux ministres, aux préfets et à certains journalistes…
Une délégation du Consistoire remet la missive au secrétariat de Laval.
On lit :
« Le Consistoire central des Israélites de France, conscient du devoir de solidarité religieuse qui lui incombe, exprime au chef du gouvernement l’indignation que lui inspire la décision prise par le gouvernement français de livrer au gouvernement allemand des milliers d’étrangers de diverses nationalités mais tous de religion israélite, résidant en zone non occupée et qui s’étaient réfugiés en France avant la guerre pour fuir les persécutions dont ils étaient victimes. […]
Le Consistoire central ne peut avoir aucun doute sur le sort final qui attend les déportés après qu’ils auront subit un affreux martyre. Le chancelier du Reich n’a-t-il pas déclaré dans son message du 24 février 1942 : “Ma prophétie suivant laquelle au cours de cette guerre ce ne sera pas l’humanité aryenne qui sera anéanti, mais les Juifs qui seront exterminés, s’accomplira quoi que nous apporte la bataille, et qu’elle qu’en soit la durée. Tel sera son résultat final.” Ce programme d’extermination a été méthodiquement appliqué en Allemagne et dans les pays occupés par elle, puisqu’il a été établi par des informations précises que plusieurs centaines de milliers d’Israélites ont été massacrés en Europe orientale, ou y sont morts, après d’atroces souffrances à la suite des mauvais traitements subis. Enfin, le fait que les personnes livrées par le gouvernement français ont été rassemblées sans aucune discrimination à leur aptitude physique et que parmi elles figurent des malades, des vieillards, des femmes enceintes, des enfants, confirme que ce n’est pas en vue d’utiliser les déportés comme main-d’œuvre, mais dans l’intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement.
[…] Les malheureux déportés ont été traités de la façon la plus inhumaine, dès leur embarquement en zone non occupée ; ils ont été entassés dans des wagons à bestiaux, hommes, femmes, enfants, vieillards, malades, tous mêlés sans vivres, sans que les précautions d’hygiène les plus élémentaires aient été respectées […]. Le Consistoire demande, pour le cas où il ne serait pas possible d’obtenir la révocation de l’ensemble de ces mesures […], d’en exclure tous les anciens combattants et volontaires étrangers, les enfants de moins de 16 ans isolés, et en tout cas les jeunes filles pour qui ces déportations risquent d’avoir les conséquences les plus révoltantes. Demande également de décider que les parents d’enfants de moins de 3 ans ne soient pas déportés, ainsi que toutes les femmes enceintes . »
Le Consistoire n’obtiendra pas de réponse à sa lettre. Mais il est clair que les responsables politiques à Vichy et les chefs militaires français ne pouvaient pas ne pas avoir connaissance des massacres commis dans les abattoirs humains à l’est de l’Europe. Il serait absurde d’imaginer qu’ils n’usaient pas des services d’écoute des radios étrangères, qu’ils ne disposaient pas de services d’informations civil ou militaire, présentant régulièrement aux dirigeants – à Pétain, Laval, Darlan et à d’autres – des rapports sur ce qui était publié en Angleterre, en Suisse, diffusés par les médias, la BBC ou Radio Moscou.
Le Consistoire, lui, s’était fondé sur des informations publiées à Londres le 25 juin 1942. The Telegraph avait révélé l’étendue des massacres commis par les Allemands en Pologne. Le 1er juillet, de 21 h 30 à 22 heures, dans l’émission de la BBC intitulée Les Français parlent aux Français, Jean Marin et Jean-Louis Crémieux-Brilhac avaient diffusé ces informations :
« Dans une note officielle, le gouvernement polonais a fait connaître que : “700 000 hommes, femmes et enfants ont été mis à mort, par des hommes qui avaient froidement décidés ces exécutions massives.” Pourquoi ? La note polonaise raconte comment se font les massacres des populations condamnées, les détails sont terribles, n’en citons qu’un : Les Allemands utilisent des chambres à gaz qu’on appelle même en Allemagne les chambres d’Hitler, montées sur roues. Les condamnés d’un village, d’une ville sont séparés par groupes de 80 à 90 et chaque groupe, à son tour, est enfourné dans la chambre roulante. […]. Voilà une image de l’Ordre nouveau qu’on voudrait imposer à l’Europe. Voilà aujourd’hui, la France en est au même point et nous voyons qu’en zone occupée, le Parti populaire français de Doriot imite le national-socialisme de la première heure et enjoint aux patrons d’hôtels et de cafés d’interdire l’accès de leurs établissements aux Juifs, porteurs ou non de l’étoile jaune. N’oubliez pas que c’est peu à peu qu’on essaie d’habituer un peuple à considérer une partie de la population comme sacrifiée d’avance, les étapes sont ensuite vite franchies. »
La critique du livre dans le Canard enchaine
Les Juifs de France entre République et sionisme. La Critique de Libé
Les juifs, le sionisme, la République
Par Laurent Joffrin — 11 février 2020 à 17:36
Illustration Libération
Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem durant plus de trente ans, retrace l’histoire des juifs de France, du franco-judaïsme dominant sous la IIIe République au virage franco-sioniste d’aujourd’hui.
Les juifs, le sionisme, la République
Charles Enderlin est un juif de gauche – il en reste. Après le mouvement de 1968, séduit par les idéaux du sionisme socialiste, il émigre en Israël pour travailler dans un kibboutz. Il prend la nationalité israélienne, puis devient journaliste, pour tenir pendant plus de trente ans la correspondance de France 2 en Israël. A la différence de tant d’anciens de 68, il a gardé les idées de sa jeunesse. Auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire de la région, il est revenu en France sur le tard, pour constater que les Français juifs, de toute évidence, sont nombreux à avoir suivi un itinéraire politique différent du sien, en tout cas ceux qui se sentent représentés par les institutions officielles de «la communauté», le Crif ou le Consistoire. Pour retracer cette évolution et la comprendre, il livre une histoire érudite et engagée des juifs de France (selon son expression), «entre République et sionisme».
Cette évolution, Enderlin la résume en deux formules : les Français juifs sont passés, au fil des événements tragiques qui ont rythmé leur histoire, du «franco-judaïsme» au «franco-sionisme». Enderlin rappelle d’abord le lien intime qui a réuni tant de juifs français à la République, en qui ils voyaient à la fois un idéal et une protection. Son admiration peu dissimulée va d’abord à ces personnalités françaises éminentes que furent Crémieux, Naquet, Netter, et bien d’autres, qui ont contribué au premier rang, avec Gambetta, Clemenceau, Ferry, à l’établissement du régime républicain. En 1870, Crémieux est de ceux qui proclament la République à la chute de Napoléon III et il est le promoteur d’un décret historique, celui qui confère la nationalité française aux juifs d’Algérie. Puis arrive l’épreuve dramatique de l’affaire Dreyfus, qui défie l’attachement immémorial des juifs français au vieux pays. Theodor Herzl, dit-on, en tira l’idée que les juifs, attaqués même dans ce pays qui les avait émancipés à la Révolution et où ils semblaient exempts, sous la République, des antiques discriminations, ne seraient jamais en sécurité s’ils ne disposaient d’un Etat qui leur soit propre. Même si Herzl, journaliste autrichien, était surtout épouvanté par la résurgence des pogroms dans l’Est de l’Europe, c’est ainsi que naît le mouvement sioniste.
Après une féroce bataille où les Drumont, Guérin et consorts se déchaînent contre les juifs, la République l’emporte in fine, sous l’impulsion des Picquart, Zola, Clemenceau, Jaurès ou Bernard Lazare. Ainsi, malgré les attaques, la communauté juive reste profondément attachée à son pays, patriote à l’égale des autres Français, comme en témoigne son comportement pendant la Grande Guerre, où Enderlin rappelle que les pertes humaines subies par les Français juifs sont égales en proportion à celles qu’endura le reste de la population française.
Cela ne prévient en rien la terrible montée de l’antisémitisme dans les années 30, qui culmine avec les crimes de Vichy, les mesures de relégation et de confiscation, l’imposition de l’étoile jaune, puis l’enfermement, la déportation et l’assassinat dans les camps nazis de plus de 75 000 juifs étrangers et français. Pourtant, après la guerre, l’identification juive à la République reste intacte, doublée d’un lien particulier avec la gauche, et les départs vers Israël restent en nombre très limité.
Vient le temps des ruptures. L’arrivée massive des juifs d’Algérie, chassés avec les autres «pieds-noirs» par l’indépendance modifie la démographie de la communauté. La guerre des Six Jours engendre un second choc. Les Français juifs ont tremblé pour Israël, puis communié à la victoire éclair du jeune Etat sur les armées arabes coalisées. Raymond Aron lui-même, froid commentateur, sent renaître son identité particulière dans la République et réagit avec virulence à l’admonestation du général de Gaulle qui parle du peuple juif «sûr de lui et dominateur». La guerre du Kippour, plus incertaine et meurtrière, redouble la solidarité avec Israël, tandis que la «politique arabe» de la France heurte une partie de la communauté. Les attentats palestiniens visant des civils juifs dans le monde attisent l’inquiétude.
Après l’échec des tentatives de compromis avec Arafat et l’OLP, l’assassinat de Rabin, les attentats-suicides en Israël, les espoirs de la gauche sont ébranlés, pendant que les instances communautaires se rallient de plus en plus à la politique de la droite israélienne. Le tournant une fois pris, cette identification non seulement à Israël, mais aussi à la politique de gouvernements de plus en plus à droite, s’accentue au fil des années, si bien qu’au grand dam d’Enderlin, ni le Crif ni le Consistoire n’émettent plus de réserves devant la politique annexionniste du Likoud et de ses alliés religieux. «Jews turn right», disent les Anglo-Saxons. Nous y sommes, même si les organisations communautaires ne reflètent pas forcément les sentiments de l’ensemble de la communauté. Entre judaïsme identitaire et principes universalistes ou républicains, Enderlin a fait son choix, fidèle au rêve sioniste d’origine, en France comme en Israël, ce qui lui vaut les foudres de la droite israélienne.
En revanche, il manque sans doute une explication à cette fresque minutieuse. Pourquoi la gauche juive a-t-elle échoué ? Pourquoi, en Israël et en France, est-ce la droite qui domine désormais ? Evolution endogène, montée des nationalismes partout dans le monde, repli religieux ? Certes. Mais comment ne pas voir aussi, au cours des dernières décennies, l’action meurtrière des mouvements islamistes dans le monde, le Hamas compris, proclamant leur haine des juifs, leur volonté de détruire l’Etat d’Israël, leur détermination à attaquer par le terrorisme à la fois Israël et les juifs d’Europe. Partisane d’un accord avec les Etats arabes et les Palestiniens, la gauche fut régulièrement entravée, contredite, désavouée aux yeux d’une partie de l’opinion, par l’extrême violence des factions islamistes acharnées à ruiner toute possibilité d’accord, renforçant par là même les partis les plus hostiles à toute paix de compromis, à tout Etat palestinien. Les extrêmes se renforcent mutuellement. C’est un autre ressort de l’histoire.
Laurent Joffrin
Charles Enderlin
Les Juifs de France. Entre République et sionisme Seuil, 448 pp., 22,50 €.
Extrait de Les Juifs de France entre République et sionisme
Les américains, les Juifs algériens. Roosevelt et Noguès. Peyrouton l’antisémite arrive à Alger avec la bénédiction américaine.
Le 14 janvier 1943 s’ouvre à Anfa, près de Casablanca, la conférence interalliée. Roosevelt et Churchill y discutent de la suite à donner à la guerre. Giraud et de Gaulle ont également été conviés, ne serait-ce que pour se serrer la main devant les caméras. Le chef de la France libre retournera à Londres peu après. Le 17, Roosevelt reçoit le général Charles Noguès, le résident général au Maroc, toujours en poste . Le compte rendu de la discussion est rédigé par l’attaché militaire naval du président américain, le capitaine McCrea :
« Murphy déclare qu’en Afrique du Nord, les Juifs sont déçus, car la “guerre de libération ” n’a pas immédiatement conduit à leur liberté complète. Le président a dit qu’à son avis l’ensemble du problème juif devait être examiné très soigneusement, et que les progrès doivent être sérieusement planifiés. En d’autres termes, le nombre de Juifs exerçant certaines professions libérales (droit, médecine, etc.) doit être absolument limité au pourcentage [de la population juive] par rapport à l’ensemble de la population nord-africaine. Un tel plan devrait permettre aux Juifs d’exercer ces professions sans les surcharger. […] le général Noguès était d’accord en général, en ajoutant que ce serait triste si les Français devaient gagner la guerre uniquement pour permettre aux Juifs le contrôle des professions et du monde des affaires en Afrique du Nord. Le président a rappelé les plaintes des Allemands à l’encontre des Juifs allemands qui ne représentaient qu’une petite partie de la population, mais plus de la moitié des avocats, des enseignants, des universitaires, etc. » On ne sait pas d’où le président des États-Unis tient ces fausses statistiques.
Sur les conseils de Murphy, Giraud fait venir à Alger Marcel Peyrouton, antisémite notoire, l’un des auteurs du premier Statut des Juifs d’octobre 1940 et responsable de l’abrogation du décret Crémieux. Nommé gouverneur de l’Algérie, il convoque, le 28 janvier 1943, une délégation de notables juifs conduits par le rabbin Eisenbeth pour leur annoncer :
« Les Juifs et les parlementaires ont été déclarés responsable de la défaite. Une défaite qui a provoqué une explosion générale d’antisémitisme dans toutes les couches sociales du pays. Certaines lois antisémites ont été prises en France sous l’impulsion du sentiment qu’avaient fait naître les Juifs étrangers fraîchement naturalisés depuis l’avènement du ministère Blum. Une des conditions essentielles de l’armistice a été l’introduction en France de la législation raciste. L’abrogation des lois raciales en Algérie se heurterait au mécontentement de musulmans. L’Algérie est encore la France et ne peut pas se considérer comme séparée d’elle pour légiférer en cette matière. »
Et Peyrouton d’annoncer : « La question des droits politiques […] recevra une solution après la guerre. Les biens des Juifs seront restitués en totalité, par paliers. Le numerus clausus sera élargi. Dans les écoles, il sera totalement aboli à l’avenir. Les petits fonctionnaires seront repris graduellement. »
Les Alliés ont lancé l’offensive contre les forces allemandes et italiennes qui se sont déployées en Tunisie après l’opération Torch. Le général Juin commande les 75 000 hommes de l’armée d’Afrique et de la première division de la France libre du général Larminat. Ils combattent aux côtés des 95 000 Américains d’Eisenhower, le commandant suprême, et des 130 000 Britanniques de Montgomery dans le dispositif duquel est intégrée la petite force de Leclerc .
Le plan Trump – Kushner
Ses contradictions et les raisons pour lesquelles le monde musulman ne peut que le combattre .
Première constatation : Dès la page 3, Jared Kushner, l’auteur de ce texte, évoque la mémoire d’Yitzhak Rabin et affirme qu’il « a donné sa vie pour la cause de la paix ». Il oublie de rappeler qu’en fait, le Premier ministre a été assassiné par un juif nationaliste religieux pour empêcher tout accord avec les palestiniens.
Le plan semble se référer au dernier discours de Rabin en 1995 à la Knesset où il défendait l’accord intérimaire d’Oslo 2, dans lequel il définissait sa vision: « Jérusalem resterait sous la souveraineté israélienne, les secteurs de Cisjordanie et de la vallée du Jourdain où vivent d’importantes populations juives seraient incorporées à Israël. Le reste avec Gaza feraient partie de l’autonomie palestinienne, « moins qu’un état ». La direction palestinienne, relève Kushner, n’a pas rejeté cette vision de Rabin présentée comme le statut final des territoires occupés.
En fait, il savait parfaitement que pour l’OLP, le processus d’Oslo ne pouvait que mener à la création d’une Palestine indépendante. Le 11 décembre 1993, il envoyait à Tunis, son conseiller diplomatique, le colonel de réserve Jacques Neriah, ancien des renseignements militaires, rencontrer Yasser Arafat pour une discussion franche. De retour à Jérusalem, il faisait son rapport à Rabin : « le chef de l’OLP ne se contentera en aucun cas d’une autonomie, même élargie dans le statut final mais uniquement d’un état indépendant aux côtés d’Israël. » Le Premier ministre a réagi en déclarant à Neriah : « On continue le processus ! On verra ! »
Pour le professeur Matti Steinberg, ancien analyste principal du Shin Beth, il n’y a pas de doute : Rabin savait parfaitement, en s’engageant dans le processus d’Oslo, que pour l’OLP cela devait mener nécessairement à l’autodétermination palestinienne.
C’est page 7, que l’on découvre le mobile idéologique du plan concocté par Kushner : « L’État d’Israël a le désir légitime d’être l’État nation du peuple juif et que ce statut soit reconnu de par le monde. » Rappelons que le 19 juillet 2019, Benjamin Netanyahu a fait adopter par la Knesset la loi fondamentale définissant : « Israël comme l’État nation du peuple juif, qui y exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. La réalisation de ce droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservée au seul peuple juif ». En d’autres termes, les citoyens non-juifs n’ont pas ce droit et, cette loi, accorde la priorité à l’hébreu et au développement des localités juives. C’est faire évoluer Israël vers une forme d’ethnocratie. <a href= »https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/ENDERLIN/59027″></a>
En guise de justification, le plan Trump propose de faire de la Palestine, l’État-nation du peuple palestinien « avec, dans chaque cas, des droits civiques égaux pour tous les citoyens de chaque état » Ce qui, pour Israël, contredit les principes discriminatoires définis par la loi votée par la Knesset.
Mais, là, il faut relever que Kushner se prononce en faveur de la création d’un État palestinien. Comment pourrait-on y parvenir ? La réponse se trouve page 10. Il faudrait que « l’Autorité palestinienne ou toute autre organisation acceptable par Israël, ait le contrôle total de Gaza, que les organisations terroristes soient désarmées, et Gaza entièrement démilitarisée ». Vaste programme ! L’Autorité palestinienne n’a certainement pas les moyens militaires pour reconquérir Gaza, désarmer le Hamas et les autres organisations djihadistes. On ne voit pas qui d’autre -à part l’armée israélienne- pourrait se lancer dans une telle opération qui ferait de nombreuses victimes de part et d’autre. Cela ne se réalisera pas de sitôt. À moins que …
Mais, de quel territoire s’agit-il ? Page 8, Kushner affirme, évoquant les conquêtes israéliennes lors de la guerre de six jours, que : « rarement dans l’Histoire, des pays se sont retirés de territoires conquis au cours d’une guerre défensive ». Et ajoute : « Il faut reconnaitre qu’Israël s’est d’ores et déjà retiré d’au moins 88% des territoires occupés en 1967 ». Il s’agit du Sinaï qu’Israël a évacué dans le cadre de la paix avec l’Égypte et n’a rien à voir avec l’affaire palestinienne. Alors, écrit-il : « Le transfert d’une partie importante du territoire de l’État d’Israël doit être considéré comme une concession significative », car, souligne-t-il : « c’est un territoire sur lequel Israël fait valoir des droits légaux et historiques ». Il n’évoque pas les droits historiques et légaux palestiniens.
Jérusalem, écrit-il, doit être reconnue comme la capitale souveraine et indivisible d’Israël. La barrière (le mur) de séparation doit être maintenue pour séparer les capitales des deux pays. « La capitale souveraine de l’État de Palestine pourrait se trouver dans un secteur de Jérusalem Est, au nord ou à l’est de la barrière de sécurité, à Kafr Aqab, la partie orientale de Shouafat et à A bou Dis. Elle pourrait être appelée Al Quds ou tout autre nom décidé par l’État de Palestine. ». Les accords d’Oslo envisageaient un parlement palestinien à Abou Dis, où un immeuble a été construit qui, depuis, est séparé de Jérusalem par le mur de séparation.
Il faut rappeler que lors des négociations de Camp David en juillet 2000, si Yasser Arafat était prêt à accepter la souveraineté israélienne sur les quartiers à majorité juive à Jérusalem Est, il n’avait aucune intention de renoncer aux secteurs à majorité arabe, musulmane ou chrétienne. Surtout sur le Haram el Charif, le troisième lieu saint de l’Islam (qui est aussi le Mont du temple du judaïsme). Là, le plan Trump annonce une chose et son contraire. Affirme d’abord que « Le statuquo doit y être maintenu sans interruption » Donc, seul le culte musulman doit y être autorisé. Mais Kushner ajoute : « Les personnes de toutes croyances devraient être autorisées à y prier d’une manière pleinement respectueuse de leur religion, prenant en compte des horaires de chaque prière religieuse et des fêtes, de même que d’autres facteurs religieux »
En d’autres termes, les juifs devraient pouvoir y faire leurs prières…
Selon Mati Steinberg ce serait une catastrophe, « un embrasement, pas seulement dans les territoires palestiniens mais dans l’ensemble de la région. Une telle mesure renforcerait le soutien populaire à Al Qaida, à Daesh, au sein du monde musulman et ferait le jeu de l’Iran et de ses alliés shiites. Le conflit israélo- arabe se transformerait en une guerre de religion. Ce serait également la fin du traité de paix israélo-jordanien qui interdit toute atteinte au statut du Haram el Charif / Mont du Temple ». Le colonel Jacques Neriah, rejoint entièrement cette analyse.
Il ne faut donc pas être surpris du rejet de ce pseudo plan de paix par le monde arabo-musulman. La diplomatie française le comprend-elle ?
Sur le site de Mediapart
Sur le site de Mediapart Vidéo et texte
L’interview au point.fr
« Israël est devenu pour la France un Vatican juif »
INTERVIEW. L’essayiste Charles Enderlin s’interroge sur le « sionisme religieux » de nombreux Juifs de France qui les pousse à soutenir sans condition Israël.
Propos recueillis par Catherine Golliau
Modifié le 03/02/2020 à 07:36 – Publié le 02/02/2020 à 15:45 | Le Point.fr
Dans Les Juifs de France entre République et sionisme (Seuil), l’ancien correspondant à Jérusalem de France 2 raconte comment une partie du judaïsme français est passée du soutien passionné de la République de Jules Ferry à celui de l’Israël de Netanyahou. Polémique.
Le Point : Votre livre semble montrer que les Juifs de France sont aujourd’hui écartelés entre la République et le soutien à Israël. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Charles Enderlin : Je suis un Franco-Israélien qui vit en Israël. Je m’y suis installé à la fin 1968 pour être israélien, démocrate et juif culturellement. Or, je constate que de plus en plus de gens, en Israël comme en France, se disent d’abord juifs. À Jérusalem, un immigré venu de France m’a ainsi dit récemment : « Je suis juif, le passeport n’est rien puisqu’il y a des Arabes qui sont israéliens. » Être juif prévaut pour beaucoup aujourd’hui à toute autre appartenance. C’est ainsi que, en France, certains sont prêts à tout accepter de la politique israélienne au nom de leur identité juive, même si cela signifie renoncer aux valeurs qui fondent la République française. Car s’identifier à Israël veut dire aussi accepter que ce pays occupe un autre peuple et discrimine ses propres citoyens arabes. J’ai donc voulu comprendre comment et pourquoi la communauté juive française est passée d’Isaac Jacob Crémieux, républicain, qui se battait à la fin du XIXe siècle pour l’assimilation des juifs au sein de la société française, à Meyer Habib, député franco-israélien qui se proclame « sioniste, partisan de l’intégrité d’Eretz Israël, et fidèle aux valeurs de la Torah ». Comme si on avait oublié que Crémieux est non seulement à l’origine du décret du 24 octobre 1870 qui impose la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie, mais aussi de l’abolition de la peine de mort pour raison politique, et que, un siècle plus tard, c’est un autre garde des Sceaux juif, Robert Badinter, qui abolit la peine de mort. Qui sait aujourd’hui que la loi de 1884 autorisant le divorce, c’est Alfred Naquet ? Que le Front populaire et ses lois sociales, c’est Léon Blum ? Qui se souvient du rôle de Mendès France dans la politique d’après-guerre ? Ces juifs-là ont ardemment défendu non seulement la République, mais aussi ses valeurs les plus nobles, les plus progressistes, dont la laïcité.
Zemmour accuse les juifs ashkénazes réfugiés en France dans les années 1930 d’avoir été responsables de la montée de l’antisémitisme.
Vous attaquez bille en tête Éric Zemmour dès votre préface, mais, par le passé, d’autres juifs ont rejoint la droite extrême. Après tout, ce n’est pas parce que l’on est juif que l’on doit être de gauche…
C’est vrai. Et certains ont même soutenu les antisémites ! Quand Charles Maurras est reçu à l’Académie française en 1938, on a pu écrire que la liste des souscripteurs pour financer son épée comportait pas mal de notabilités juives. Toujours dans les années 1930, de nombreuses personnalités juives étaient membre de la Ligue des Croix-de-Feu. Le cas de René Mayer est exemplaire : grand avocat, membre du consistoire, l’institution fondée par Napoléon Ier pour administrer le culte israélite en France, protégé par Vichy, il a rejoint le Comité français de libération nationale à Alger en 1943 ; garde des Sceaux en 1949, il va autoriser la mise en liberté provisoire de Xavier Vallat, le commissaire général aux Affaires juives sous Vichy, antisémite et condamné à la Libération à dix ans de prison. Aujourd’hui, Éric Zemmour accuse les juifs ashkénazes réfugiés en France dans les années 1930 d’avoir été responsables de la montée de l’antisémitisme. Il se rapproche du Front national.
Lire aussi Qui est vraiment Éric Zemmour ?
Quelle est votre définition du sionisme ?
La même que celle de Theodor Herzl : donner aux juifs une terre où ils seront en sécurité, un État libéral et démocratique, qui rejette le messianisme. Cela signifie un État qui reconnaît les droits des Palestiniens. Même Vladimir Jabotinsky, le fondateur du sionisme nationaliste, envisageait un État juif avec l’égalité des droits. La droite nationaliste religieuse a fait passer l’idée que le sionisme est fondé sur un droit d’ordre divin. Résultat, quand on parle de sionisme en France, on parle de la politique du gouvernement israélien annexionniste. Et c’est au nom de ce sionisme-là qu’on accuse souvent d’antisémitisme ceux qui osent critiquer Israël.
Lire aussi Le sionisme ne résume pas le judaïsme
Le grand virage a été provoqué par la guerre des Six Jours en 1967.
Peut-on situer dans le temps l’évolution du judaïsme français vers le sionisme ?
La Shoah et l’aide apportée par le gouvernement de Vichy à la déportation des juifs a joué évidemment un rôle majeur dans le développement de la méfiance vis-à-vis de la France, mais jusque dans les années 1950, les israélites se définissaient dans leur immense majorité comme « Français de religion juive », voire, pour certains, « de confession mosaïque ». L’arrivée des Juifs d’Afrique du Nord a commencé à changer la donne. En 1962, 100 000 Français juifs d’Algérie ont débarqué en France la rage au cœur contre de Gaulle. Même si le consistoire a fait beaucoup pour ne pas renouveler les erreurs des années 1930 où les institutions israélites françaises ne voulaient pas d’une vague de réfugiés juifs de l’Est, l’intégration n’a pas toujours été facile. Beaucoup aussi se sont sentis coupables envers Israël : seuls 20 000 Juifs d’Algérie sont alors partis s’installer là-bas alors que les autres ont préféré la métropole pour conserver leurs droits de citoyens français. Mais le grand virage a été provoqué par la guerre des Six Jours en 1967. Les juifs ont eu peur qu’Israël ne disparaisse de la carte. Même Raymond Aron, qui se disait insensible à la création de l’État d’Israël, reconnaît alors qu’il a ressenti des bouffées de judaïsme. Mais cette peur était-elle justifiée ? Non, on le sait maintenant, les autorités israéliennes attendaient le feu vert américain pour attaquer. Quand ils l’ont eu, ils sont passés à l’offensive.
Mais le fait que de Gaulle traite alors Israël de « peuple dominateur » a profondément blessé les Juifs de France…
De Gaulle, fin stratège, savait que l’armée israélienne était mieux organisée et équipée (grâce au matériel français) que les armées arabes. Mais de Gaulle avait intimé à Israël de « ne pas tirer le premier ». Les Israéliens ne l’ont pas écouté. Le fait important, toutefois, c’est que, après la guerre des Six Jours, Israël s’est trouvé en situation d’occupant, n’était plus le petit pays sur la défensive, mais un État conquérant. Là, on constate une évolution dans l’attitude de la diaspora française. Contre un Emmanuel Levinas qui affirme qu’« Israël ne peut ni ne doit être un persécuteur », André Neher plonge dans le messianisme et affirme qu’Israël est du côté de la justice. Mieux, en 1968, il soutient qu’un juif ne doit pas critiquer Israël, car c’est donner des arguments aux antisionistes et aux antisémites. Cette parole a été si bien entendue qu’un sioniste de la première heure comme Wladimir Rabinovitch [Rabi, NDLR] a été ostracisé pour avoir osé critiquer les destructions de maisons palestiniennes et les arrestations arbitraires. En 1977, fait significatif, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a modifié sa charte. Initialement, cette organisation était pluraliste, mais, là, elle s’est clairement orientée vers le soutien à Israël. En fait, les grandes institutions juives manifestent pour la plupart, face à la politique israélienne, un silence de plus en plus assourdissant, qu’il s’agisse de la répression antipalestinienne ou de la loi de juillet 2018, voté par la Knesset, qui fait d’Israël l’État nation du peuple juif, discriminant les citoyens non juifs.
Depuis François Hollande, j’ai même l’impression qu’Israël est devenu pour la République française une sorte de Vatican juif.
En France, les juifs ont souvent été accusés d’une double allégeance, comme si la République n’avait pas confiance en eux. Georges Pompidou les a soupçonnés ouvertement, Raymond Barre, après l’attentat de la rue Copernic en 1980, a fait la distinction entre les victimes juives de la synagogue et les passants, ces « Français innocents ». Il y a de quoi se sentir ostracisé, non ?
Certes, mais la République a évolué elle aussi, et dans le sens de la reconnaissance du sionisme ! Dans le cas de Pompidou, c’est vrai, ses relations avec les Juifs de France se sont détériorées dès 1969 quand la France s’est rapprochée de la Libye de Kadhafi. Après l’épisode des vedettes lance-missiles qui étaient sous embargo à Cherbourg depuis la guerre des Six Jours et qui ont été récupérées illégalement par les Israéliens, il a fait dire par le biais du gaulliste René Massigli que l’on ne pouvait pas conditionner ses obligations de citoyen français au fait que la politique française épouse ou non les thèses de Tel-Aviv. « À s’engager dans cette voie, on risque de se trouver placé devant un choix : ou citoyen français, ou citoyen israélien. Puisse cette folie ne pas être commise. » Aujourd’hui, je n’imagine pas un président de la République française dire cela. Depuis François Hollande, j’ai même l’impression qu’Israël est devenu pour la République française une sorte de Vatican juif. Prenez la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv : c’était un événement franco-français, or, Emmanuel Macron a invité Netanyahou, et reprend à son compte la formule « antisionisme égale antisémitisme ».
Le développement de l’antisémitisme en France n’explique-t-il pas que les juifs se tournent vers Israël ?
La résurgence de l’antisémitisme, les attentats antijuifs, ont provoqué d’abord une hausse importante de l’immigration vers Israël, mais, le nombre de départs est en baisse. En 2019, à peine 2 000 Français juifs ont émigré en Israël. Au-delà de la grande crainte des juifs face à l’antisémitisme, il faut dire que jamais les Juifs de France n’ont été aussi protégés par la législation ; jamais, ils n’ont bénéficié d’une telle empathie du pouvoir et du soutien des administrations françaises.
Il existe un judaïsme réformé, libéral, qui est rejeté, ostracisé par l’orthodoxie, même en France.
Ces partisans de la politique israélienne que vous dénoncez ne sont-ils pas une infime minorité ?
Selon une source au Crif, seuls 130 000 juifs seraient liés de près ou de loin à une institution ou une association juive en France sur une population estimée entre 400 000 et 600 000. Mais leur voix est de plus en plus forte et la République française y est de plus en plus sensible. C’est peut-être là le problème.
Vous concluez votre livre en disant que la solution en diaspora pourrait être le développement du judaïsme libéral, beaucoup plus ouvert que le judaïsme orthodoxe. Pourquoi ?
Les communautés de la diaspora font face à un double problème : leur lien avec Israël qui développe avec l’appui des États-Unis une politique d’annexion de la vallée du Jourdain et des colonies de Cisjordanie ainsi que de Jérusalem-Est où les Palestiniens seront traités comme des non-citoyens. Sont-ils prêts à soutenir une politique qui ressemble à l’apartheid ? Deuxième problème : la profonde transformation d’une partie du judaïsme qui tend depuis 1967 à se recentrer autour du Temple de Jérusalem, le lieu saint. Or, il existe un judaïsme réformé, libéral, moderne en plein développement notamment dans les pays anglo-saxons, mais qui est rejeté, ostracisé par l’orthodoxie, même en France. De leur choix va dépendre l’avenir de la communauté juive.
Les Juifs de France entre République et sionisme
Extrait de l’introduction:
Proche des idées du Front national, Zemmour dispose d’un accès sans précédent aux médias. Chroniqueur permanent dans l’émission matinale de RTL, la radio la plus écoutée de France, hôte, avec Éric Naulleau, d’une émission hebdomadaire de télévision, ses livres se vendent par centaines de milliers d’exemplaires. Selon l’historien Laurent Joly : « Depuis Barrès et Maurras, aucun autre intellectuel, journaliste ou écrivain, n’avait eu ce statut de passeur des idées d’extrême droite auprès d’un très large lectorat. »
Alain Finkielkraut est l’autre grande voix juive identitaire et conservatrice de la France. Lui aussi dispose de moyens médiatiques importants pour diffuser ses idées. Depuis 1987, le philosophe anime chaque samedi sur France Culture une émission très écoutée par le public cultivé. Il exerce une sorte de magistère sur les droites françaises, dont les organes de presse l’encensent : Valeurs actuelles, Le Figaro. Il est le collaborateur régulier de Causeur d’Élizabeth Lévy. Le Front national ne le critique jamais, tandis qu’une partie de la gauche républicaine le respecte et le soutient. La majorité des institutions juives le regardent comme une sorte de rabbin laïc.
À l’instar du CRIF et du Consistoire, Alain Finkielkraut, tout en se déclarant partisan de la solution à deux États, défend inconditionnellement Israël, dont les ennemis sont, selon lui, antijuifs : « L’antisémitisme est revenu et ce n’est plus l’antisémitisme résiduel du nationalisme français. C’est un antisémitisme fier de lui-même à qui on ne peut pas faire honte puisqu’il s’exprime dans la langue de l’antiracisme. Il s’agit d’un antisémitisme antiraciste car, précisément, pour ces antisémites-là, les Juifs sont passés de l’autre côté de la barricade avec Israël et l’occupation de la Palestine. Tout ça étant pensé dans des termes racistes : Israël est un État raciste, donc s’opposer à Israël et à tous ceux qui se sentent un lien avec ce pays, c’est combattre des racistes. […] La haine d’Israël est très répandue dans le monde arabe, mais se trouve relayée par une partie de la gauche en France […] Je m’attendais à tout sauf à avoir à combattre l’antiracisme comme nous devions combattre les idéologies totalitaires du xxe siècle. […] On vous taxe d’islamophobe en mettant en parallèle la judéophobie des années 1930. Le sous-texte de cette accusation, c’est que les musulmans sont les Juifs d’aujourd’hui. Et que nous, nous sommes les nazis[1]. »
La critique d’Israël est interdite au nom de la lutte contre l’antisémitisme. Surtout, un Juif ne doit jamais offrir d’arguments aux ennemis de la communauté juive. Déjà en janvier 1968, lors du Colloque des intellectuels juifs de langue française, André Neher avait proclamé : « Beaucoup d’intellectuels juifs de la diaspora revendiquent le droit de critique à l’égard d’Israël, sans se rendre compte du mécanisme mortellement dangereux dans lequel ils acceptent d’entrer. […] Être contre Israël par quelque nuance que ce soit, c’est sur ce point précis être vraiment et fatalement contre Israël, c’est apporter à la mise en accusation d’Israël une contribution dont les répercussions sur l’ensemble sont dangereusement imprévisibles. Ces critiques sont donc nocives en logique pure[2]. »
Wladimir Rabi, un sioniste de la première heure, ancien résistant, magistrat, subira l’ostracisme de la communauté juive en raison de sa condamnation de la politique israélienne : « Je me sépare de l’intégrisme juif, qu’il soit spirituel ou séculier. Je n’accepte pas que la raison d’État puisse nous amener à justifier le fait des villages rasés et des maisons détruites, ni les sanctions collectives, ni l’inévitable dégradation que constitue finalement l’occupation d’un territoire sur lequel vit une population qui n’accepte pas le pouvoir d’une armée, fût-elle la plus bienveillante qui soit[3]. » Rabi ne sera pas le seul à subir l’ancestrale sanction du « herem », l’exclusion de la communauté.
Que dirait-il, aujourd’hui, de l’adoption par la Knesset (en juillet 2018) de la loi déclarant Israël État-nation du peuple juif, mais discriminant les minorités non juives ? Le judaïsme français se confond-il désormais avec ce petit État du Proche-Orient ? « Dans ce cas, il sortirait de l’histoire universelle », selon la mise garde de Raymond Aron.
J’ai écrit ce livre pour tenter de comprendre l’évolution de ces Juifs français dont je fus autrefois si proche et dont je me sens souvent aujourd’hui tellement éloigné. C’est l’histoire de la transformation d’une communauté prestigieuse qui a donné à la République les Crémieux, les Netter, les Naquet, les Reinach, Blum, Cassin, Helbronner, Mendès France, Aubrac, Léon Meiss, Simone Veil, le grand rabbin Jacob Kaplan, pour ne citer que quelques noms, et qui est aujourd’hui celle des Meyer Habib, des Gilles William Goldnadel, des Finkielkraut, des Zemmour, du CRIF – autant de soutiens inconditionnels d’Israël.
[1]. Sur la chaîne de télévision israélienne I24, dans l’émission « Élie sans interdit », 15 octobre 2017. Repris par Valeurs actuelles.
[2]. André Néher, La Conscience juive. Données et débats, Paris, PUF, 1971, p. 359.
[3]. L’Arche, février-mars 1967.