Blanchir le Hamas sur Slate

Je réponds ici, à l’article d’Ariane Bonzon sur Slate où elle reprend les arguments selon lesquels le Hamas serait une sorte d’OLP en devenir.

https://www.slate.fr/story/256377/charte-hamas-contenu-guerre-israel-etat-palestinien-juifs-frontieres-cisjordanie-jerusalem-1988-2017

Chère Ariane

Quand tu m’as demandé si j’avais des éléments sur le docteur Mahmoud Al-Zahar, un des fondateurs du Hamas, je t’ai répondu que je l’avais bien connu, l’ayant rencontré et interviewé à de nombreuses reprises à Gaza… Et que je n’étais pas surpris par ses déclarations islamo-messianiques sur « l’armée de Jérusalem qui va libérer la terre d’Islam !». Merci d’avoir cité mon livre Le grand aveuglement.  

Mais, en fait, tu analyses la « nouvelle » charte du Hamas, publiée en 2017, dont tu dis qu’elle rendrait « caduque », celle de 1988. Ce texte qui, en réalité, n’est pas titré « charte » mais « Document politique » serait « caduque » selon le terme employé par Yasser Arafat, en 1989, à propos de la charte de l’OLP. Alors, question : qui au sein du Hamas a dit – ou laissé entendre- que la charte de 1988 était « caduque » ?? Ce texte fondateur n’a jamais été annulé. 

Tu passes sous silence toute l’histoire des contacts plus ou moins discrets entre l’OLP et des personnalités israéliennes dés les années 70. Et surtout les négociations secrètes de 1985-1986. Hani el Hassan et Saïd Kamal, tous deux du Fatah, ont rencontré le général Shlomo Gazit et Yossi Guinossar, du Shin Beth, à Paris et Bruxelles, il avait été question de paix, d’autonomie palestinienne et même de patrouilles conjointes dans la vallée du Jourdain. Je sais !  C’est l’israélien Enderlin qui a publié les détails de ces pourparlers. À tout hasard, tu peux aussi te référer à l’ouvrage d’Anthony Wanis-St.John, Back Channel Negotiation, Secrecy in the Middle East Press, publié en 2011 par les Syracuse University Press.

Est-ce un oubli ? Tu ne rappelles pas qu’il n’y a jamais eu de pourparlers, de contacts, ou de rencontres entre des dirigeants du Hamas et des Israéliens, officiels ou non. En tout cas, en novembre 1988,  l’OLP a rejoint la légitimité internationale en adoptant les résolutions 242 et338 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Et surtout entériné l’initiative de paix arabe de 2002 qui est toujours rejetée par le Hezbollah, Téhéran et… le Hamas. Ariel Sharon, lui aussi ne voulait pas en entendre parler.

Tu cites abondamment le Professeur Camille Mansour, le doyen de la faculté de droit de l’Université de Beir Zeit, dont tu dis qu’il a été un négociateur des accords d’Oslo. Il été un conseiller de la délégation palestinienne, mais n’a pas participé aux pourparlers secrets en Norvège, ni aux négociations de Taba sur l’autonomie en 1993-1994. Je ne l’ai jamais vu aux côtés de Saeb Erekat, le principal négociateur d’Arafat.  Il n’était pas à Camp David en juillet 2000, ni même à Taba lors des ultimes rencontres de janvier 2001. Bon, Enfin ! C’est ta source. Il explique : « Le document de 2017 constitue un grand changement dans l’orientation politique du mouvement. Dans celui de 1988, on ne trouve aucune référence à l’établissement d’un État (que ce soit sur toute la Palestine mandataire, ou sur la Cisjordanie et Gaza).»

Tu écris : « Que faut-il retenir du document de 2017 ? D’abord, que le Hamas s’y présente comme un «mouvement palestinien islamique de libération nationale et de résistance» poursuivant deux objectifs: libérer la Palestine et s’opposer au «projet sioniste». Est mentionnée une «résistance armée» (art. 25) contre un projet «raciste, agressif, colonialiste et expansionniste» (art. 14 ), une lutte «contre les sionistes qui occupent la Palestine», mais non «contre les juifs en raison de leur religion» (art. 16). » Là, le Hamas a visiblement oublié d’informer de ce changement les milliers de ses « combattants » qu’il a envoyé massacrer les populations juives des vingt-deux localités israéliennes proches de Gaza, le 7 octobre dernier. Je me permets de te suggérer d’aller voir le film tiré des images filmées par les hommes du Hamas, eux-mêmes.

Au Proche-Orient, le terrorisme est une forme de combat omni présente, immorale, illégitime. J’ai raconté dans ma biographie d’Yitzhak Shamir, comment, dans les années quarante, chef du groupe Stern, il expliquait à ses recrues que c’était la seule manière de combattre l’empire britannique. Je ne reviendrai pas sur les attentats sanglants commis par des milices juives et arabes dans les années 30 et 40. Plus récemment, si on peut le qualifier d’organisation terroriste, jusqu’à la fin des années quatre-vingt, jamais le Fatah n’a envoyé ses « combattants » violer, assassiner des familles entières, kidnapper pour les prendre en otages, des vieillards malades, des femmes, des nourrissons. C’est la raison pour laquelle le Hamas est plus proche de Daesh que toutes les autres organisations palestiniennes.

Ce n’est pas tout, tu évites de citer les chefs du Hamas qui ne mentionnent que très rarement leur nouvelle « charte » de 2017. Ismaïl Hanieh, Salah al Arouri, Abou Marzouk, Khalil-al-Hayya, Khaled Mashaal, Taher El-Nounou et d’autres. J’ai raconté comment la stratégie israélienne a été depuis 2007, de laisser Gaza au Hamas pour empêcher la création d’un état palestinien. Benjamin Netanyahu a toujours autorisé le financement de l’organisation islamiste. Il l’a expliqué en mars 2019 aux députés du Likoud : « Toute personne qui veut empêcher la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas, le transfert de fonds au Hamas ». En 2020 Ismaïl Hanieh a révélé que son organisation avait, au fil des ans reçu un milliard de dollars du Qatar. Un émissaire qatari arrivé dans un jet privé à l’aéroport Ben Gourion, apportait régulièrement le cash à Gaza, escorté par la police israélienne. Bezalel Smotrich, messianique, actuel ministre des Finances et ministre délégué à la Défense, déclarait déjà en 2015 : « L’Autorité palestinienne est un fardeau, mais le Hamas est pour nous un acquis stratégique réel. Sur la scène internationale, personne ne l’écoute. Il ne peut pas nous traîner devant la Cour internationale de justice ou être à l’origine d’une plainte au Conseil de sécurité, comme c’est le cas avec l’Autorité d’Abbas » Soutenir Netanyahu, c’était soutenir le financement du Hamas. Jusqu’au 7 octobre.

Dans leurs prêches, les imams du Hamas continuent d’affirmer que les « juifs descendent du singe et des porcs » Il faudrait leur expliquer qu’il y a une nouvelle charte appelée « Document politique » Bien sûr, en miroir, on trouve des élucubrations similaires de la part de certains rabbins sionistes religieux, pour qui les Arabes sont des sous-hommes. En juin 2022, durant la campagne électorale, Benjamin Netanyahu s’est attaché à blanchir le kahaniste Itamar Ben Gvir. Il lui a expliqué qu’il devait retirer de son salon, le portrait de Barouch Goldstein qui, en février 1994, avait massacré vingt-neuf musulmans en prière dans la Caveau des Patriarches à Hébron. Il lui a également conseillé d’exiger de ses militants qu’ils cessent de scander « Mort aux Arabes » dans les manifestations et de crier plutôt « Mort aux terroristes ». Moyennent quoi, Ben Gvir a eu le portefeuille de la Sécurité nationale.

Le fondamentalisme messianique qu’il soit juif ou arabe doit être combattu. Il a mené les deux peuples à la tragédie sanglante que nous vivons aujourd’hui. 

Cordialement

Charles Enderlin