Zemmour Finkielkraut Les identitaires. Extrait de mon « Les Juifs de France entre République et Sionisme »

Cent quarante-neuf ans après le décret de naturalisation qui conféra la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie par Adolphe Crémieux, cent quatorze ans après le vote de la loi portant séparation des Églises et de l’État, quatre-vingt-trois ans après l’élection du socialiste Léon Blum à la tête du Front populaire, un député franco-israélien siège aujourd’hui au palais Bourbon. Meyer Habib se présente lui-même comme « sioniste, partisan de l’intégrité d’Eretz Israël et fidèle aux valeurs de la Torah ». Il défend la politique annexionniste du Likoud dont il a été un des représentants en France.

Ce type de revendications s’accompagne d’une réinterprétation, par certains essayistes, de l’histoire du judaïsme français. C’est ainsi que soixante-quinze ans après la promulgation par Philippe Pétain du premier statut des Juifs leur interdisant l’accès à la fonction publique, notamment à l’éducation nationale et à l’armée, soixante-quatorze ans après la promulgation par le m.me Philippe Pétain du second statut des Juifs leur interdisant cette fois l’accès aux professions libérales, Éric Zemmour, dans Le Suicide français, fait l’apologie du régime de Vichy en affirmant que la politique de Pétain aurait permis de sauver des Juifs de France par le sacrifice de Juifs Étrangers – en l’occurrence, des immigrés et des réfugiés juifs venus d’Europe de l’Est et d’Allemagne.

Zemmour reprend, ce faisant, la thèse selon laquelle, durant la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle était le glaive et Pétain le bouclier. Affirmation contredite par de nombreux historiens de la Shoah.

Cela n’a pas empêché Alain Finkielkraut de saluer la publication de ce livre, non sans exprimer il est vrai, une petite réserve : « Dans le louable souci de dénoncer le climat actuel de repentance satisfaite et de réhabiliter le concept de préférence nationale, il en vient à créditer le régime de Vichy d’avoir sauvé des Juifs français en ne consentant à livrer aux nazis que les Juifs étrangers ou apatrides. D’abord c’est faux : des Juifs français aussi sont morts à Auschwitz. […] . Et de citer Jacqueline Mesnil-Amar, une Juive française qui avait écrit, dit-il, ces lignes admirables : “Après treize ans d’hitlérisme, après quatre ans d’occupation nazie en France, après les camps, les wagons et les fours, il n’est plus un seul Juif, croyant ou incroyant, perdu ou retrouvé, qui ne se souvienne qu’il est juif.” […] . Finkielkraut affirme dans la foulée : « Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a quasiment plus d’Israélites en France : le franco-judaïsme a volé en éclat. Les Juifs sont redevenus juifs. Ils ne croient plus en la vocation du pays où ils vivent. Cela ne les empêche pas de l’aimer […] » Façon comme une autre d’enterrer deux siècles de vie israélite en France. Les Juifs formeraient donc, à nouveau, une nation au sein d’un État dont ils récuseraient le projet d’assimilation, et dont les valeurs leur seraient devenues étrangères.

Un an avant la parution du Suicide français, Alain Finkielkraut avait lui-m.me publié « L’Identité malheureuse, » un livre dans lequel il prenait la défense de « la France de Maurice Barrès et d’Amélie Poulain, la France qui regrette le bon vieux temps où les Français de souche ne croisaient que leurs pareils, la France sépia qui pleure son homogénéité perdue […] ». On ne saurait identifier plus clairement les Français de souche aux partisans de l’antisémite Maurice Barrès. Quoi qu’il en soit, ces autochtones se sentiraient devenir étrangers sur leur propre sol sous l’effet de l’immigration musulmane1. On comprend dès lors

les raisons pour lesquelles il entérine la thèse développée par Éric Zemmour : . […] au lieu de faire face au double défi de la mondialisation économique et de l’immigration de peuplement,

la France se quitte, elle se dépouille de son être, c’est-à-dire de son histoire, elle rompt spectaculairement avec elle-même […] « La vision qu’a Éric Zemmour de l’histoire du judaïsmes français est significative. Le 1er juin 2016, dans la grande synagogue de la rue de la Victoire à Paris, devant plus de 1 000 fidèles, au cours d’un débat avec Gilles Bernheim, l’ancien grand rabbin de France, il a déclaré : « À la fin des années 1930 on estime que les Juifs ont pris trop de pouvoir, qu’ils ont pris trop de puissance, qu’ils dominent excessivement l’économie, les médias, la culture française comme d’ailleurs en Allemagne et en Europe. Et d’ailleurs, c’est en partie vrai ! […] Il y avait des Français qui trouvaient que les Juifs se comportaient avec une arrogance de colonisateurs. Et arrive encore l’immigration des Juifs d’Europe de l’Est et de l’Allemagne. La France est le pays qui a reçu le plus de réfugiés. Les médecins français se plaignaient que les médecins juifs leur volaient leur clientèle. Il y avait des concurrences terribles. Il y avait des trafics. […] Tout cela n’a pas été inventé par les antisémites. Et les Juifs français étaient les premiers à se plaindre des problèmes que causaient les Juifs ashkénazes ». Au cœur de la prestigieuse synagogue, une voix juive d’extr.me droite justifiait ainsi l’antisémitisme, condamnait l’accueil des réfugiés fuyant le nazisme. Lui-même séfarade, français en vertu du décret Crémieux, il accusait les Ashkénazes d’avoir causé des problèmes. Des mots qui font clairement référence à ceux de la droite antirépublicaine des années 1930.

Proche des idées du Front national, Zemmour dispose d’un accès sans précédent aux médias. Chroniqueur permanent dans l’émission matinale de RTL, la radio la plus écoutée de France, hôte, avec Éric Naulleau, d’une émission hebdomadaire de télévision, ses livres se vendent par centaines de milliers d’exemplaires. Selon l’historien Laurent Joly : « Depuis Barrès et Maurras, aucun autre intellectuel, journaliste ou écrivain, n’avait eu ce statut de passeur des idées d’extrême droite auprès d’un très large électorat »

Alain Finkielkraut est l’autre grande voix juive identitaire et conservatrice de la France. Lui aussi dispose de moyens médiatiques importants pour diffuser ses idées. Depuis 1987, le philosophe anime chaque samedi sur France Culture une émission très écoutée par le public cultivé. Il exerce une sorte de magistère sur les droites françaises, dont les organes de presse l’encensent : Valeurs actuelles, Le Figaro. Il est le collaborateur régulier de Causeur d’Élizabeth Lévy. Le Front national ne le critique jamais, tandis qu’une partie de la gauche républicaine le respecte et le soutient. La majorité des institutions juives le regardent comme une sorte de rabbin laïc.

À l’instar du CRIF et du Consistoire, Alain Finkielkraut, tout en se déclarant partisan de la solution à deux États, défend inconditionnellement Israël, dont les ennemis sont, selon lui, antijuifs : « L’antisémitisme est revenu et ce n’est plus l’antisémitisme résiduel du nationalisme français. C’est un antisémitisme fier de lui-même à qui on ne peut pas faire honte puisqu’il s’exprime dans la langue de l’antiracisme. Il s’agit d’un antisémitisme antiraciste car, précisément, pour ces antisémites-là, les Juifs sont passés de l’autre côté de la barricade avec Israël et l’occupation de la Palestine. Tout ça étant pensé dans des termes racistes : Israël est un État raciste, donc s’opposer à Israël et à tous ceux qui se sentent un lien avec ce pays, c’est combattre des racistes. […] La haine d’Israël est très répandue dans le monde arabe, mais se trouve à tout sauf à avoir à combattre l’antiracisme comme nous devions combattre les idéologies totalitaires du XXème siècle. […] On vous taxe d’islamophobe en mettant en parallèle la judéophobie des années 1930. Le sous-texte de cette accusation, c’est que les musulmans sont les Juifs d’aujourd’hui. Et que nous, nous sommes les nazis »

La critique d’Israël est interdite au nom de la lutte contre l’antisémitisme. Surtout, un Juif ne doit jamais offrir d’arguments aux ennemis de la communauté juive. Déjà en janvier 1968, lors du Colloque des intellectuels juifs de langue française, André Neher avait proclamé : « Beaucoup d’intellectuels juifs de la diaspora revendiquent le droit de critique à l’égard d’Israël, sans se rendre compte du mécanisme mortellement dangereux dans lequel ils acceptent d’entrer. […] Être contre Israël par quelque nuance que ce soit, c’est sur ce point précis être vraiment et fatalement contre Israël, c’est apporter à la mise en accusation d’Israël une contribution dont les répercussions sur l’ensemble sont dangereusement imprévisibles. Ces critiques sont donc nocives en logique pure »

Wladimir Rabi, un sioniste de la premi.re heure, ancien résistant, magistrat, subira l’ostracisme de la communauté juive en raison de sa condamnation de la politique israélienne

: « Je me sépare de l’intégrisme juif, qu’il soit spirituel ou séculier. Je n’accepte pas que la raison d’État puisse nous amener à justifier le fait des villages rasés et des maisons détruites, ni les sanctions collectives, ni l’inévitable dégradation que constitue finalement l’occupation d’un territoire sur lequel vit une population qui n’accepte pas le pouvoir d’une armée, fût-elle la plus bienveillante qui soit ». Rabi ne sera pas le seul à subir l’ancestrale sanction du «  herem » , l’exclusion de la communauté.

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