Simone Veil, la Hongrie, l’antisémitisme, Netanyahu, et Macron

Inutile de chercher des informations sur le décès de Simone Veil et les réactions en France. Il n’y en a presque pas. A peine une interview d’elle réalisée en 2008 par un journaliste du Haaretz et remise au gout du jour dans un supplément du quotidien, vendredi dernier. Aussi une intervention de Shlomo Sand dans l’émission de 18h de la chaine 10. L’histoire de Simone Veil, rescapée de la Shoah, femme d’état républicaine, ministre de la santé, première présidente du Parlement européen, n’intéresse pas en Israël.  Pourtant son témoignage est fondamental. Elle était à Auschwitz-Birkenau, en ces jours de printemps 1944, lorsque les Juifs hongrois y sont arrivés : « Presqu’aucun n’est entré dans le camp. Dès leur descente des wagons, ils ont été conduits vers les chambres à gaz. Pour nous qui savions, impuissants, ce qui les attendait, c’était une vision d’horreur : c’est l’événement le plus tragique que j’ai vécu au camp d’Auschwitz Birkenau »

Alors, que dirait Simone Veil aujourd’hui face à la campagne qui se déroule actuellement en Hongrie sous la houlette du Premier ministre Viktor Orban et son parti nationaliste Fidesz Union? Ils s’attaquent à George Soros, milliardaire et philanthrope américain d’origine hongroise, l’accusant, « milliardaire spéculateur », de vouloir utiliser sa fortune et les ONG qu’il soutient pour « installer un million de migrants » en Hongrie et dans l’Union européenne. Le pouvoir hongrois est notamment en guerre contre l’Université d’Europe Centrale fondée par Soros à Budapest en 1991. Ses portraits ont été collés un peu partout dans le pays avec la mention : « Ne laissez pas Soros avoir le dernier mot » Certains posters sont collés sur le sol des trams, pour que les passagers le piétinent. Les responsables du judaïsme hongrois considèrent qu’il s’agit là d’une véritable campagne antisémite. Soros est présenté avec un grand nez et les oreilles détachées. Sur certaines photos ont été écris : « sale juif ». Andras Heisler, le leader de la principale organisation juive de Hongrie, Mazsihisz, a exigé le retrait immédiat  de ces affiches car « elles attisent l’antisémitisme ». A sa demande l’ambassadeur d’Israël, Yossi Amrani a publié un communiqué. « J’appelle ceux qui sont impliqués dans cette campagne d’affichage et ses initiateurs à en reconsidérer les conséquences. En ce moment, au-delà de la critique politique d’une certaine personne, la campagne évoque non seulement de tristes souvenirs mais aussi la haine et la peur. » la réponse d’Orban a été négative.

Donc, très bien. En principe, Israël combat l’antisémitisme et défend une communauté juive qui se sent attaquée… Eh bien pas vraiment. Benjamin Netanyahu a fait publier un nouveau communiqué annulant le texte d’Amrani : « Israël déplore toute expression d’antisémitisme dans un pays quel qu’il soit et soutient les communautés juives partout où elles confrontent la haine. C’était le seul but du communiqué publié par l’ambassadeur d’Israël en Hongrie. Ce texte n’était nullement destiné à délégitimer les critiques formulées à l’encontre de Georges Soros, qui continuellement sape le gouvernement démocratiquement élu d’Israël en finançant des organisations qui diffament l’état juif et cherchent à lui nier le droit de se défendre » Comme en Hongrie, Soros finance des ONG de défense des droits de l’homme qui, en l’occurrence critiquent l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Le Premier ministre israélien a donc un allié en Orban et sa politique profondément anti –européenne, anti-migrants et islamophobe. Il se rendra à Budapest pour une visite officielle le 18 juillet, le lendemain, viendront se joindre à la rencontre les dirigeants tchèques, slovaques et polonais, non moins opposés à la politique européenne sur l’immigration.

Mais, juste avant, le 16 juillet, Benjamin Netanyahu sera l’invité du Président français Emmanuel Macron, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Pourtant, ce lieu n’était pas un camp de concentration. Il n’y avait pas d’allemands sur place. C’était une opération de la police française pour le compte des nazis. Et, au fil des décennies, un long contentieux entre la République et ses juifs. Finalement ce fut Jacques Chirac qui dans son discours du 16 juillet 1995 a reconnu « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Depuis le FN, Marine Le Pen, mais aussi Eric Zemmour, et Alain Finkielkraut rejettent cette prise de position.
Cette histoire est franco-française et ne concerne pas directement la Shoah mais un crime français commis pour le compte des nazis. Le fait que Netanyahu soit invité à prendre la parole au cours de la cérémonie brouille les choses. Par sa participation, de fait, se considérant comme représentant l’état nation du peuple juif, il assume en quelque sorte la responsabilité du judaïsme français. Sans compter le fait que Macron accueillera le dirigeant israélien, allié aux adversaires de sa politique européenne..

 

 

 

Les français juifs et l’extrême-droite

Bloch.png

Ainsi, c’est fait ! Selon Libération, une « Union des patriotes français juifs » est en train de voir le jour. Selon Michel Thooris, son président, il s’agit d’améliorer l’image du Front national auprès des électeurs juifs. Ce monsieur est aussi membre du comité central du FN

http://www.liberation.fr/france/2016/04/25/une-association-pour-promouvoir-le-fn-aupres-des-electeurs-juifs_1448528

L’initiative est intéressante et il est, bien entendu, trop tôt pour savoir ce que cette association va devenir. Cela posé, et sans faire de comparaison – les situations sont entièrement différentes- rappelons quelques éléments historiques. Ce n’est pas la première fois que des personnalités et des organisations juives se tournent vers l’extrême droite. Prenons, par exemple, L’Union patriotique des français israélites, fondée en 1934 par Edmond Bloch. Cet avocat, né en 1884 dans l’Aisne, ancien combattant, était violemment hostile aux socialistes, aux communistes et… aux immigrés juifs. Il faisait la corrélation entre la montée de l’antisémitisme en France et l’immigration juive et n’hésitait pas à prendre la parole à des meetings aux côtés d’auteurs antisémites comme Charles Maurras, Léon Daudet, Jacques Doriot et Xavier Vallat.

En 1937, le rabbin Jacob Kaplan a refusé l’invitation de Bloch de participer à une réunion organisée par Jean Goy, le président de l’Union des nationale des combattants qui était aussi un dirigeant du comité France-Allemagne et fervent partisan d’une entente avec Hitler. L’Union patriotique des français israélites refusait l’adhésion des juifs immigrés même s’il s’agissait d’anciens combattants décorés. Son principal adversaire au sein de la population juive est la Ligue internationale contre l’antisémitisme, présidée par Bernard Lecache, son fondateur qui lutte contre le fascisme. La plupart de ses militants sont des Juifs, souvent immigrés.

L’historien Ralph Schor rappelle que des juifs ont rejoint des mouvement d’extrême droite comme l’Action française et la Ligue fasciste des francistes. Des personnalités israélites ont participé à la souscription destinée à offrir son épée à Charles Maurras lors de son élection à l’Académie française.

La plupart de ces éléments, minoritaires au sein du judaïsme français était anti-sionistes et violemment opposés au Front populaire dirigé par Léon Blum, lui même pro-sioniste.

Arrêté pendant l’occupation, Bloch a été libéré grâce à l’intervention de son ami Xavier Vallat, patron du Commissariat aux questions juives sous Pétain.

Bien entendu, tout cela n’a rien à voir avec l’Union des patriotes juifs qui vient de voir le jour.

Les sources de cet article : Ralph Schor L’Antisémitisme en France dans l’entre-deux-guerres. Éditions Complexe. P. 211 et 287. David Shapira. Jacob Kaplan. Albin Michel. P. 82-83. Les Juifs de France. Ed. Liana Levi. P.148-149